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Catherine Richards, Méthode et dispositif pour trouver l'amour
Méthode et dispositif pour trouver l'amour (2000-)
Catherine Richards, Méthode et dispositif pour trouver l'amour (2000-)
En collaboration avec Martin Snelgrove
Photo reproduite avec la permission de l'artiste

Marcel Duchamp, Le Grand Verre
Marcel Duchamp, La mariée mise à nue par ses célibataires, même (1915-1923)
Marcel Duchamp, La mariée mise à nu par ses célibataires, même (Le Grand Verre) (1915-1923). Huile, vernis, fils de plomb, feuille de plomb, étamage et poussière sur deux plaques de verre (fêlées), chacune d'elles montée entre deux panneaux de verre, avec cinq fils de verre, papier d'aluminium, et cadre en bois et acier, 277,5 X 175,8 cm hors tout, Philadelphia Museum of Art, legs de Katherine S. Dreier, telle qu'installée par l'artiste au Philadelphia Museum of Art. Avec la permission de la succession Marcel Duchamp / © SODRAC (2007)
Catherine Richards
Née à Ottawa en 1950
Vit et travaille à Ottawa (Ontario)

Pour montrer cette œuvre, Méthode et dispositif pour trouver l'amour (2000-), il faut la cacher. Il faut la dissimuler au regard curieux, car il s'agit d'un brevet d'invention; il faut voiler son contenu constitué d'un texte sur l'amour accompagné d'images. Son sujet, l'amour, étant par définition ce sentiment intime entre deux personnes, se révèle dans le jeu de la dissimulation, de la révélation et de la parade par lesquels hommes et femmes vivent et expriment ce sentiment. Il nous faut d'abord nous approcher du présentoir pour que son verre opaque devienne transparent, nous faisant voir une demande de brevet d'invention. Dans une vitrine, il nous apparaît comme inaccessible et distant; il n'est plus un texte comme tout autre, il est un texte protégé. Nous en aurons un accès partiel tant ce dont il parle, l'amour, doit être savamment révélé et caché à la fois, tout comme le brevet signifie la propriété d'une idée, d'une invention qui mérite la protection. Sur les murs, des dessins linéaires traçant le contour de tableaux de maîtres célèbres : Dame à l'hermine, de Leonardo Da Vinci (1483-1490) ou Saint-Sébastien, de Rubens (1615) pour ne nommer que les plus connus. En consultant le brevet plus attentivement, nous constaterons, que sur ces dessins on a superposé des éléments technologiques : boucles d'oreille, pince-nez, excitateur de mamelon.

Puis cette citation sur le mur accompagné d'agrandissement de ces figures :

« Les dessins sont rejetés parce qu'ils contiennent des images offensantes. Spécifiquement, les figures 1, 5, 11, 12, 13 sont considérées contenir de telles représentations qui peuvent être considérées offensantes par plusieurs personnes. Donc, il est requis de les éliminer de la demande. » (1)

Méthode et dispositif pour trouver l'amour poursuit les recherches de l'artiste concernant les relations entre la physique (l'électromagnétisme), les émotions et les technologies numériques de communication. Mais l'œuvre d'art est ici un texte – œuvre conceptuelle s'il en est une – c'est un brevet décrivant une méthode et un dispositif pour trouver l'amour qui serait fabriqué de composants électroniques et numériques. Ce texte doit décrire rigoureusement des dispositifs et procédés techniques et pourtant il s'attarde longuement à décrire la mécanique humaine et la scénographie psychologique de l'amour en une microanalyse des détours du désir entre exposition et déception, entre montrer et cacher. Drôle de brevet, en l'occurrence, qui cite Marcel Duchamp et son Grand Verre, La mariée mise à nue par ses célibataires, même (1915-1923) comme art antérieur (Prior Art); qui est aussi une sorte de traité sur l'art d'aimer et mentionne Shakespeare, Chaucer et Ovide – nous pourrions rajouter Stendhal à cette liste – à propos des intermédiaires fiables dans la négociation amoureuse. Il s'agit en tout cas d'un magnifique texte en son genre, à la fois complexe et intriguant.

Ce traité de l'art d'aimer sous les aspects d'un brevet présente néanmoins une analyse fine de cet art. Ce passage dans lequel on décrit finement l'un des risques de déception que comporte toute méthode ouverte est aussi un bijou d'ironie littéraire. Qu'on me laisse seulement en présenter un extrait entre tous ceux que j'aurais pu prendre :

« L'autre difficulté est inhérente à toute méthode explicite : les gens savent rarement ce qu'ils veulent, ou alors ils se mentent à eux-mêmes. Le problème, ici, c'est que la quête amoureuse est considérée comme une forme de magasinage : le client judicieux fonctionne à partir d'une liste, et le fait de dresser consciemment cette liste le porte à se leurrer. On trouve une pensée philosophique soutenant que l'on peut éviter de s'illusionner en observant la règle du « connais-toi toi-même ». Or, on ne connaît aucune application de ce programme qui, s'il était réalisable, viserait à la purification ou à l'élimination du désir, ce qui limiterait le marché pour notre appareil. Nous ne croyons pas que cela constituerait un véritable problème, étant donné l'ancienneté du programme et la pauvreté des résultats ». (2)

Dans toute son ironie, cette œuvre commente la grande solitude vécue dans nos sociétés médiatisées vouées à la communication et à l'information. Si cette ironie dénonce quelque chose, ce n'est pas tant la modification technologique de la vie, mais le danger que représente en ce domaine « la propriété privée des moyens de production », expression un peu vieillotte qui a l'avantage de bien dire l'important. En l'occurrence, que quelques-uns puissent décider du sort du vivant en le harnachant à leur seul profit. En tout cas, il suffira que ce texte soit, en un certain sens, un portrait-charge de nous-mêmes, nous montrant menacés par la privatisation de l'intimité humaine (l'amour) comme on le fait déjà de l'intimité de la matière en brevetant les gènes de certaines espèces modifiées. Le brevet est l'un de ces lieux que cherche à investir et à investiguer l'artiste, comme l'étaient, dans d'autres de ses œuvres, les cabinets de curiosité dans Virtual Body (1993) ou une cage de Faraday dans Curiosity Cabinet at the End of the Millennium (1995). Le brevet est une fabuleuse occasion pour elle « d'entrelacer la science et l'art comme agent du désir ». (3) Tandis que la science est vue comme le paradigme de la rationalité et de l'objectivité dans la connaissance, l'art a toujours eu des rapports avec l'érotisme ou, pour le dire comme Nietzsche, avec la sensualité. Par ce texte, Catherine Richards nous entraîne sur le terrain glissant mais inusité qui conjoint technologie et désir dans un discours sur l'incarnation de la science et de la technologie.

J.G. © FDL 2007


(1) Correspondance de l'examinateur du brevet à l'artiste (2006).
(2) Catherine Richards et Dr W. Martin Snelgrove, Méthode et appareil pour trouver l'amour : demande de brevet provisoire n° 60/330, 566 déposée aux États-Unis le 25 octobre 2001, p. 18.
(3) Traduction libre. Citation originale en anglais : « ...to entwine both science and art as agents of desire ». Catherine Richards, « Method and Apparatus for Finding Love 2000- Artist Statement: A Patent » dans Catherine Richards (site Web personnel) : http://www.catherinerichards.ca/artwork/patent_statement.html
Œuvre exposée

Méthode et dispositif pour trouver
l'amour
(2000-)

En collaboration avec Martin Snelgrove
Copie de la demande de brevet d'invention, vitrine, verre et circuits électroniques, capteurs, schémas à partir de tableaux de Maîtres (Bronzino, Da Vinci, Da Vignola, Michelangelo, Rubens) sur papier, citation tirée de la correspondance avec l'examinateur de brevets
Dimensions variables
Collection de l'artiste

Biographie

Catherine Richards est professeur au département d'arts visuels de l'Université d'Ottawa. Elle a étudié la littérature anglaise et a obtenu un baccalauréat ès arts de l'Université York en 1971 et un baccalauréat ès arts en arts visuels de l'Université d'Ottawa en 1980. En 1991, elle organise avec Nell Tenhaaf au Center for the Arts de Banff, en Alberta, la conférence Virtual Seminar on the Bioapparatus, l'une des premières manifestations au Canada d'une préoccupation pour les réalités virtuelles et les interfaces entre technologie et corps. Ce projet novateur en matière d'art et de nouvelles technologies lui vaut, en 1992, le Prix Corel de la Conférence canadienne des arts. En 1993, elle obtient le Prix Petro-Canada en arts médiatiques du Conseil des arts du Canada pour son emploi remarquable de nouvelles technologies en arts médiatiques et plus particulièrement pour Spectral Bodies (1991). En 1993, son œuvre interactive Virtual Body a été présentée au Festival d'Anvers, en Belgique. Le Centre canadien des arts visuels, affilié au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), lui décerne une bourse en 1993-1994 et, en 1994-1995, son projet Cœurs électrisés (1997) est en partie financé par la bourse Claudia De Hueck en art et science du MBAC. Toujours en 1995, on lui commande Curiosity Cabinet at the End of the Millennium (1995) pour l'exposition Self Determination / Body Politic au Gemeentemuseum de Arnhem, en Hollande. Ses dernières œuvres I was scared to death / I could have died of joy (2000), Shroud/Chrysalis (2000) et Méthode et dispositif pour trouver l'amour (2000-) continuent à explorer les liens entre le corps, les émotions et les nouvelles technologies. Elle a exposé en 2004 à la Biennale de Sidney en Australie.

Liens :
Musée des beaux-arts de Montréal Fondation Daniel Langlois