Chorégraphe, danseuse, interprète, Marie Chouinard réalisait une série d'œuvres découlant toutes d'une chorégraphie filmée pour visages, grimaces et voix, Cantique 1 (2003), (1) un film multi écran Cantique 2 (2003) et l'œuvre que nous présentons, Cantique 3 (2004), qui utilise un dispositif interactif permettant aux spectateurs d'animer les deux interprètes à l'écran. Marie Chouinard est certainement l'une des artistes les plus singulières du Québec. Son parcours a été celui d'une exploratrice du corps, depuis ses premières pièces solos comme Cristallisation en 1978, en passant par S.T.A.B. (1986) ou L'après-midi d'un faune (1987) s'offrant dans un cadre proche de la performance autant que de la danse, jusqu'à ses chorégraphies récentes si étonnantes par l'éclectisme des techniques corporelles de son répertoire gestuel : bODY_rEMIX/ les_vARIATIONS_gOLBERG (2005), une chorégraphie de groupe, ou Étude n° 1 (2001), un solo. Bien qu'elle ait cessé toute prestation sur scène au tournant des années 1990, quand elle fonde la Compagnie Marie Chouinard, nous avons eu le plaisir de voir au Musée d'art contemporain de Montréal en 1998 Les Solos 1978-1998, une rétrospective de ses pièces remontées par ses soins, mais dansées par une autre. Cette rétrospective nous faisait comprendre l'enracinement de la pratique de Marie Chouinard dans le corps, dans un corps pulsionnel qui, avec son intelligence propre, est capable d'expression et d'authenticité.

Cantique 3 est un dispositif interactif permettant aux spectateurs de jouer avec les images et les sons d'une chorégraphie de têtes, de grimaces et d'onomatopées; un langage à la fois du corps, de la bouche et de la langue, ce muscle expressif rarement apprécié et même un peu tabou. Pourtant, cette surprésence du corps, dans ses efforts tendus du cou et de la langue, s'allège pour devenir une sorte de cantate au fur et à mesure que deux spectateurs, deux joueurs jouent d'une sorte de clavier numérique (deux écrans tactiles) permettant de produire une poésie sonore dosée par leur jeu. Chacun d'eux joue avec le répertoire d'images, de sons et de voix associé à l'un des deux personnages et en variant rythmes et arythmies, un étrange dialogue à deux voix prend forme, « un dialogue-cantate » comme le dit Marie Chouinard. Ce dispositif, qui est aussi, en quelque sorte, un instrument de montage en temps réel procède par synthèse granulaire et par boucles de séquences vidéographiques de la performance des deux interprètes. Des microévénements gestuels et sonores sont relevés et mis en relief. Ils nous montrent les « émois et les rythmes de la communication ». (2) Marie Chouinard débusque dans le langage humain et dans le corps ce qui en constitue la part inchoative, la part d'avant le verbe, la part qu'une micro-analyse du geste rend visible et audible, ces remuements du corps dans l'expression.

J.G. © FDL 2007