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Luc Courchesne

The Visitor: Living by Numbers

Luc Courchesne, The Visitor: Living by Numbers, 2001 (video)
Luc Courchesne, The Visitor: Living by Numbers, 2001 (video)
Luc Courchesne, The Visitor: Living by Numbers, 2001 Luc Courchesne, Horizons (2007)
L’image est saisissante : une forme humaine, debout au milieu d’une structure métallique, dont la tête disparaît dans une coupole renversée qui réfléchit l’espace environnant. L’ordinateur placé sur un socle à proximité du dispositif affiche ce que le « visiteur » voit à l’intérieur de la coupole. Le titre même de l’œuvre a une valeur emblématique, car la transformation du spectateur en visiteur est certainement le fil conducteur de la démarche de l’artiste. Le mot évoque le déplacement et l’interaction dans la mesure où l’on rend visite à quelqu’un. Depuis les débuts de sa carrière, l’artiste mise sur les possibilités de socialisation inédites offertes par les nouvelles technologies dans le but d’intensifier la présence de l’œuvre, des protagonistes de l’œuvre et des individus qui la « visitent ». On rend visite à Marie dans Portrait nº 1 (1990), aux différents acteurs de Portrait de famille (1993) ou du Salon des ombres (1996). Cet intérêt constant pour la socialisation s’accentue d’une œuvre à l’autre puisque les dispositifs deviennent plus complexes et raffinés dans leur élaboration et leur mode de présentation. Avec The Visitor, l’interaction se fait grâce aux ressources de la reconnaissance vocale : rien à manipuler, contrairement à la plupart des installations interactives. Bien que le principe d’interactivité soit au cœur de la démarche de Courchesne, on sent une progression vers des œuvres de plus en plus immersives. Déjà avec Paysage nº 1, le corps du participant est entouré par les images; avec The Visitor, c’est sa tête qui est encerclée par l’image. La stratégie est efficace, car la perte des repères spatiaux réels plonge le visiteur dans l’image – la définition même de l’immersion.

The Visitor a profité des recherches de Courchesne en matière de projection d’images qui ont abouti à la création du Panoscope 360º, un dispositif permettant de projeter une image panoramique de 360º à partir d'un seul canal vidéo. Ce dispositif est un descendant direct du panorama inventé et breveté par le peintre irlandais Robert Barker en 1787.

« Comme un sculpteur, je m’intéresse à la forme. Les moyens que j’utilise – ordinateurs, vidéo, espace – me permettent de relever le défi découlant de la création de nouvelles formes de façon inédite puisque j’essaie également d’inclure l’existence des visiteurs dans la structure de l’œuvre. » (1)

Nul doute, c’est bel et bien l’existence du visiteur qui se trouve sollicitée par l’œuvre qui dépend de ses choix et de ses désirs pour prendre tout son sens et dégager son plein potentiel.

Une fois la coupole ajustée à la hauteur de sa tête, le visiteur plonge en pleine campagne japonaise. En prononçant en anglais le chiffre douze, il se dirige vers le nord, trois l’amène vers l’est, six vers le sud et neuf vers l’ouest. Au cours de cette promenade virtuelle, il arrive à une habitation où il rencontre huit personnes, quatre hommes et quatre femmes, d’origine et d’occupation diverses, réunies autour d’une table. Le visiteur utilise les chiffres pour communiquer avec eux, apprendre à les connaître et ainsi amorcer une forme de socialisation – bref, trouver sa place au sein du groupe.

Un film et un rêve ont inspiré The Visitor: Living by Numbers. Le film est Theorema, de Pier Paolo Pasolini, et tout comme Terence Stamp dans le film, le visiteur cherche à établir des relations avec ses hôtes. Mais les turbulences psychiques dans Theorema deviennent des turbulences physiques dans The Visitor – un tremblement de terre force les occupants à quitter les lieux. Dans le rêve, qui est celui de la fille de Courchesne lorsqu’elle avait dix ans, des gens s’enfuient à la suite d’une catastrophe en amenant avec eux des bouteilles qui deviennent des bouteilles de saké dans The Visitor. Le visiteur doit faire un choix : soit il quitte la maison avec le groupe à la recherche d’un autre abri (comme c’est le cas dans le rêve), soit il abandonne ses hôtes à leur sort (comme dans Theorema). Tout au long de la visite, différents scénarios sont donc disponibles.

The Visitor s’inscrit dans ce que l’on nomme depuis les années 1960 l’expanded cinema : un cinéma élargi en ce qu’il déborde largement le cadre quant à la forme et la narration traditionnelle en matière de contenu et de syntaxe. Courchesne signale l’importance des films de Michael Snow, Hollis Frampton, Stan Brakhage et Robert Frank pour son développement artistique. Tous ces praticiens du cinéma expérimental ont rompu avec le cinéma traditionnel en rejetant ou en déconstruisant la narration au profit de stratégies réflexives, d’une réflexion sur le médium lui-même. La recherche de nouvelles possibilités formelles et structurelles s’est souvent faite en incorporant d’autres types de pratique (la sculpture dans le cas de Snow, la peinture pour Brakhage, la photographie pour Frank, le langage chez Snow et Frampton). Sensible aux expérimentations de ces artistes, Courchesne a également fait appel à la photographie, la sculpture, le cinéma et le design dans la réalisation de ses œuvres. En outre, selon lui, il n’est pas approprié de parler de narration en relation avec la construction et l’expérience d’une œuvre interactive forcément conçue comme un portail. Si narration il y a, elle n’émane que du visiteur à la suite de son expérience de l’œuvre et non de l’œuvre elle-même.

Jacques Perron © 2005 FDL

(1) Cette citation provient d'un échange de courriels entre Luc Courchesne et Victoria Lynn, commissaire de l'exposition Space Odysseys à la Art Gallery of New South Wales (Sydney, Australie) où l’œuvre a été présentée en première mondiale en août 2001. (traduction du rédacteur).