Installations narratives vs installations attractives
Parmi la panoplie de dispositifs exposés à
Images du Futur, on retrouve des installations vidéo. Rien de bien surprenant, puisque les années 1980 et 1990 sont effectivement caractérisées par l’effervescence des installations vidéo. On ne remarque pas toutefois un traitement particulier de la vidéo à
Images du Futur, qui mettrait en évidence ce type d’installation vedette dans l’air du temps. Les installations vidéo y sont présentées sur le même plan que les autres types d’installations qui n’impliquent aucune projection/transmission d’images. Dans ces années-là, les vidéastes étaient déjà fréquemment élevés au rang d’artiste et acceptés dans les circuits de l’art (galeries et musées), et, à leurs côtés, avec le même statut, on découvre à
Images du Futur des « bricoleurs technologiques ». Ceux-ci y sont considérés au même titre que les vidéastes, en tant qu’artistes et auteurs. On assiste à une sorte d’homogénéisation par laquelle
Faraday's Garden (1993), de Perry Hoberman
(1), une installation interactive qui n’exploite pas la vidéo comme
medium principal, mais qui est un « environnement immersif » composé d’électroménagers, de jeux de lumières et de sons activés par le passage du spectateur) suscite le même type d’intérêt chez le visiteur que
White Devil (1992-1993) de Paul Garrin (il s’agit ici d’une installation vidéo interactive). Du reste, dans les choix d’exposition et de présentation à
Images du Futur, on ne retrouve aucune séparation de genre ou de classe entre une installation vidéo et un dispositif d’un inventeur extravagant (à visiter aussi
« Exposer »).
Une caractéristique qui semble aider à comprendre la cohérence du corpus d’œuvres présentées à
Images du Futur réside dans le fait qu’une installation doit étonner le spectateur, qu’elle soit minuscule ou immersive, vidéo ou mécanique (ce qui n’est pas un critère, par ailleurs, pour d’autres contextes institutionnels qui présenteraient les mêmes œuvres). Étonner plus que raconter et ce, même lorsqu’une installation est susceptible de produire une narration. Dans
White Devil, par exemple, comme souvent dans les installations vidéo, c’est le spectateur qui active le récit dans son interaction avec l’œuvre (à visiter aussi
« Exposer » et
« Spectacle et contrôle »).
L’installation vidéo comporte très souvent une mise en récit ou une narration. Ce sont particulièrement les installations dont chaque partie du dispositif est conçue pour être interactive qui génèrent une construction narrative : c’est dans l’interaction qu’un geste provoque une chaîne de réactions se déroulant dans le temps, selon un enchaînement typique de la structure narrative – sensation-émotion-action. De manière plus élémentaire, le simple passage du spectateur à travers les sections de l’installation crée une suite d’images, comme une sorte de montage de plans, qui s’effectue dans l’espace d’exposition et dans le temps de la réception-déambulation. Une autre forme narrative élémentaire peut ainsi apparaître : les faits se succèdent les uns après les autres dans une chaîne temporelle, et dans cette succession de plans, le spectateur recherche par habitude un tissage de liens sur le mode de la causalité. Un certain degré de narration, une puissance de narrativité, peut alors s’actualiser dans la structure même de l’installation vidéo. Par exemple, un spectateur trouve aisément une narration dans une installation vidéo de Pipilotti Rist ou de Doug Aitken.
Les installations choisies par
Images du Futur renient néanmoins cette veine narrative de l’installation et s’offrent comme les curiosités d’une
Wunderkammer, où chacune d’elles est présentée comme œuvre d’auteur, d’artiste et non simplement comme celle d’un inventeur (le bricoleur technologique est ici, comme nous l’avons déjà vu, considéré comme un artiste). La puissance narrative d’une installation vidéo est évacuée à
Images du Futur, et toute trouvaille se présente comme un dispositif sophistiqué sur le plan technologique, extravagant et singularisé par une signature « d’auteur ».
Si
Faraday's Garden et
White Devil s’activent, se modifient et génèrent du sens au passage du spectateur, elles ne sont pas exposées et exploitées à
Images du Futur pour leur capacité à engendrer une narration, mais pour attirer l’attention du spectateur de manière fragmentaire, d’étonnement en étonnement. Dans les installations, vidéo ou non, d’
Images du Futur, l’effet de surprise peut agir sur le mode agressif comme dans le cas de
White Devil, à la manière de la féerie comme devant les
Urban UFO ou, encore, avec l’intention de choquer les dispositions morales comme dans le cas des holographies d’Alexander
(2). Ce dernier cas est exemplaire dans
Horrors of War (1991) où un soldat scarifié, un squelette, pris dans du fil barbelé, pointe son fusil vers le visiteur, perçant ainsi l’espace dans l’inquiétante tridimensionnalité de l’holographie. Les hologrammes envahissent l’espace du spectateur en prenant du volume, ce qui leur permet, pour ainsi dire, de les « toucher » par choc et émotion, affection qui risque d’être d’autant plus intense si l’on pense à l’imaginaire d’Alexander (dont le propos, tel que déclaré dans plusieurs entrevues, est celui de reculer les confins de la science jusqu’à l’art) qui accompagne les horreurs de la guerre d’images de
crashs d’auto et du Christ crucifié.
Le spectateur ne se fait pas
narrer, raconter le futur ici, il se déplace de choc en choc, amusé, surpris, touché par ces images volées à un
futur annoncé.
Parfois, les œuvres présentées à
Images du Futur ont aussi franchi l’espace de l’exposition : c’est le cas, par exemple, de certains
Urban UFO d’Eric et Deborah Staller, qui se baladaient dans les rues du Vieux-Port de Montréal, à proximité du lieu d’exposition. Les
Urban UFO sont, en fait, une série d’installations mobiles (la première,
Lightmobile, date de 1985 et la plus récente,
Mr. President, de 2003) qui sont destinées à être montrées dans les rues d’une ville. Staller appelle ce type d’installation «
mobile public art ».
Un des
Urban UFO, Octos, est une bicyclette circulaire à huit passagers et un seul conducteur : les passagers se font face, ils pédalent tous mais un seul d’entre eux assure la conduite. Les costumes noir et blanc des passagers augmentent l’effet étrange de cet OVNI urbain (en 1996, Staller produit un autre multicycle, la
Conferencebike, qui se vend actuellement par Internet, présenté comme une nouvelle manière de concevoir les rencontres de travail). Dans le cas de cet
Urban UFO, l’interprétation préférée de Staller consiste à le voir comme une « métaphore de la communication » (communication d’informations et transport d’êtres humains). Derrière cette métaphore de Staller, un fait est palpable : lorsque les
Urban UFO sillonnent une zone d’une grande ville, ils génèrent un
effet village, c’est-à-dire un rassemblement de gens étonnés qui se parlent en se demandant, semble-t-il, « as-tu vu ça? », « mais qu’est-ce que c’est ? ». Staller transforme ainsi une ville en galerie où sont exposées ses œuvres.
Jouant souvent dans ses œuvres avec des circuits électriques et des effets de lumière, Staller crée une dimension féerique pour le spectateur, conjuguant art, magie et technologie. Tel un magicien de boulevard,
now you see it, now you don’t, Eric Staller affirme : « C’est magique, insaisissable, éphémère, présent et absent. Je peux matérialiser ou dématérialiser quelque chose selon l’utilisation que je fais de la lumière ». Il s'agit donc d’étonner par le biais de la technologie, tout en offrant un spectacle séduisant en ce qu'il n'est pas tout à fait explicable. Les expéditions des
Urban UFO ont parfois entraîné des épisodes de (dés)ordre public, comme le cas de
Bubbleboat, une embarcation semi-sphérique recouverte d’ampoules colorées et intermittentes, que la garde-côtière de la baie de New York a arrêté à cause de ses lumières de navigation non réglementaires.