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Lynn Hershman

(San Francisco, Californie, États-Unis)

Lynn Hershman, Seduction (Phantom Limb Series), 1988
Technological Heat and the Birth of Data Bodies (video)
Technological Heat and the Birth of Data Bodies (video) Lynn Hershman, Shutter (Phantom Limb Series), 1988 Lynn Hershman, Reach (Phantom Limb Series), 1988
Lynn Hershman Leeson est née à Cleveland, Ohio, où son père a immigré depuis Montréal. Elle est titulaire d'un baccalauréat en éducation, en administration muséale et en art de la Case Western Reserve University, de Cleveland (1963) et d'un diplôme de maîtrise en art à la San Francisco State University (1972). En 1995, elle reçoit le prix Siemens-Medienkunstpreis, du Zentrum für Kunst und Medientechnologie de Karlsruhe, en Allemagne, également décerné la même année à Jean Baudrillard, Peter Greenaway, Steina et Woody Vasulka. En 1998, la Flintridge Foundation lui attribue un prix pour l'ensemble de sa carrière en arts visuels. En 1999, elle mérite le Golden Nica Prix à Ars Electronica à Linz, Autriche. Elle vit et travaille à San Francisco, Californie.

Lynn Hershman, Tillie, the Telerobotic Doll, 1995-1998. Lynn Hershman, Self-Portrait as Another Person, 1972 Lynn Hershman, The Dante Hotel, 1973 Lynn Hershman, Virtual Love, 1993

Une partie de son mémoire de maîtrise consiste à rédiger de la critique d'art sous trois pseudonymes : Prudence Juris, Herbert Goode et Gay Abandon. Son travail artistique est à l'époque sculptural, sa production se composant notamment de figurines de cire. En 1972, elle expose certaines de ces figurines au University Art Museum de Berkeley, accompagnées d'enregistrements sonores de respirations et de voix. Le musée met fin à l'exposition sous prétexte que le son n'a pas sa place dans un musée d'art!

En 1973 elle réalise avec Eleanor Coppola l'une des premières installations hors galerie, The Dante Hotel, pour laquelle chacune des artistes loue une chambre qu'elle meuble d'objets divers. Dans le cas de Hershman, les objets évoquent des traces laissées par ses occupants et par les visiteurs qui peuvent recréer des fragments de vies fictives. Hershman s'intéresse alors aux strates spécifiques de vie que recèle un lieu précis dans un environnement socioéconomique donné. À partir de ce moment, on retrouve chez elle quelques-uns des éléments qui caractérisent son travail : l'utilisation de masques et de persona afin d'explorer « l'identité, la réalité et la vérité » (1). Déjà en 1962, une œuvre intitulée Self-Portrait as Another Person donne à voir l'intérêt pour la mascarade et la persona, central à son travail.

Dans les années 1970, soit de 1973 à 1978, la création de Roberta Breitmore devient son œuvre majeure : Roberta Breitmore est une persona qu'adopte Hershman pendant ces quelques années, la transformation s'effectuant à l'aide de perruques, de maquillage et de vêtements. Par l'intermédiaire de la validation bureaucratique (permis de conduire, cartes de crédit, adresse et compte de banque, profil psychologique, etc.), le personnage fictif devient pratiquement réel, une sorte de renversement de la fiction en réalité. Aujourd'hui, il ne reste plus pour témoigner de son existence que des artefacts divers - journal intime, lettres, photographies et documents divers. Cette œuvre se compose essentiellement des aventures vécues par Roberta. L'une de ces aventures, bien réelle, concerne sa rencontre dans un parc avec un homme répondant à l'annonce placée pour trouver un colocataire. Roberta se retrouvera entourée de trois hommes faisant partie d'un réseau de prostitution à qui elle échappera en filant dans une toilette publique pour enlever son accoutrement. Roberta Breitmore permet à Hershman de souligner certaines problématiques féministes, notamment comment les femmes voient leur identité définie socialement par l'environnement social et culturel, comment elles sont victimes des structures et des conditionnements imposés. En 1978, plutôt que de se suicider comme l'avait d'abord prévu l'artiste, Roberta finira ses jours lors d'un exorcisme à la crypte de Lucrèce Borgia à Ferrara, en Italie. Lynn Gumpert et Ned Rifkin, conservateurs de l'exposition Persona tenue au New Museum de New York, écrivent à propos de Roberta Breitmore :

« La performance finale évoque les origines alchimiques de Roberta puisqu'elle porte sur le double, la transformation par le feu et la renaissance à partir des cendres. Elle indique également un changement chez Roberta, son attitude passive devient active et, comme le souhaitait Hershman, de victime, elle devient conquérante. » (2)

Ce n'est qu'à la fin des années 1970 qu'elle commence à travailler avec le médium vidéographique avec lequel elle poursuivra l'exploration de thèmes et de problématiques similaires : les relations de l'identité avec les structures sociales et culturelles de même qu'avec l'environnement médiatique, l'impuissance du sujet féminin dans ces contextes et le processus qui permet d'élaborer un pouvoir personnel grâce à la critique et l'utilisation des médias. Depuis le début des années 1980, elle a réalisé plus d'une trentaine de vidéogrammes de tous genres. L'exposition Vidéo et oralité, (3) en 1992 au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), présente trois parties de Electronic Diary - soit Confessions of a Chameleon (1986), Binge (1987) et First Person Plural (1989) - ainsi que Longshot (1989). Les œuvres illustrent l'utilisation du médium aux fins de l'examen de soi, l'adoption de persona, mais surtout le recours à la voix comme l'indice d'une authenticité douteuse dans l'expression médiatique de soi. Le MBAC tiendra aussi en 1995 une importante rétrospective, Lynn Hershman : Virtuellement vôtre, (4) présentant sept autres titres, dont Virtual Love (1993), une coproduction avec la télévision allemande, et Shooting Script (1992), une coproduction avec le Danish Film Workshop.

Dès 1979, Hershman réalise l'un des premiers vidéodisques interactifs à caractère artistique. Intitulé Lorna (1979-1983), il présente une femme qui souffre d'agoraphobie et s'enferme chez elle. On retrouve ici des éléments de la chambre de The Dante Hotel aussi bien que de Roberta Breitmore. En 1984, elle en réalise un second, Deep Contact: The Sexual Fantasy Videodisk (1984-1989). Room of One's Own (Une chambre à soi) (1990-1993) est la troisième œuvre interactive qu'elle réalise en 1990, et raffine - sur les plans du design et du programme informatique contrôlant la pièce - jusqu'en 1993. Cette même année, elle entame la production de America's Finest (1993-1995) qui reprend l'idée du fusil-caméra d'Étienne Jules Marey, déjà implicite dans Room of One's Own. Enfin, une commande du Seattle Art Museum lui permet de créer Paranoid Mirror (1995-1996). Dans ces œuvres interactives, ce n'est plus tant la construction de persona féminines dans une société médiatique qui intéresse Hershman, mais plutôt comment le regard spectatoriel s'imbrique à même cette construction au travers des dispositifs que l'artiste utilise et met en place pour révéler ces régimes et tournures du regard. Ces systèmes prennent tous en compte le regard de celui ou celle qui regarde et le renversent, le retournent, le dispositif s'adressant au regardeur, les yeux dans les yeux. Hershman revient cependant à la construction de personnages cette fois avec Conceiving Ada, son premier long-métrage cinématographique sur l'œuvre et la vie d'Ada Byron King, comtesse de Lovelace (1815-1852), une mathématicienne amateur que l'on crédite de la création du premier langage de programmation et qui en prédisait l'utilisation en musique, en poésie et en art. Kathy Rae Huffman et Margarete Jahrman notent de manière fort à propos :

« Avec Conceiving Ada, Hershman fait preuve d'originalité et de finesse sans pour autant négliger sa mission féministe qui consiste à explorer les pratiques de la communication propres aux femmes, la perspicacité et la sexualité. Dans ses œuvres précédentes, ses personnages se nommaient Lorna, Roberta, Marion ou Chystene, mais chaque personnage féminin fixait le regardeur droit dans les yeux, confirmant ainsi sa crédibilité. De la même façon, Ada et Emmy Core (Francesca Faridany), ses homologues du XXe siècle, "établissent un contact" et "communiquent" par la vue, l'esprit et le travail. » (5)

Depuis 1995, elle réalise des projets de télérobotique et expérimente avec des œuvres comportant des éléments in situ et des éléments Internet : Difference Engine # 3 présenté en 1998 au Media Museum du Zentrum für Kunst und Medientechnologie (ZKM), et Time and Time Again présenté en 1999 par le Wilhelm Lehmbruck Museum à Duisburg am Rhein, en Allemagne, dans le cadre de l'exposition intitulée Connected Cities : Processes of Art in the Urban Network.

Mentionnons également le dernier film de Hershman, Teknolust (2002), dans lequel Tilda Swinton tient le rôle d'une bio-généticienne qui a utilisé son propre ADN pour créer trois copies d'elle-même, Ruby, Marine et Olive. Les quatre rôles sont interprétés par l'actrice britannique. Ruby deviendra Agent Ruby dans l'œuvre éponyme. Le film montre des personnages qui cherchent l'amour dans un monde où la sexualité devient désuète en tant que mode de reproduction, un monde de plus en plus virtuel où seul l'amour est bien réel. Teknolust est une comédie romantique qui respecte le genre : tout se finit bien!

Finalement, la Henry Art Gallery de Seattle (Washington, États-Unis) présentait, du 5 novembre 2005 au 30 avril 2006, une rétrospective majeure de son travail. L’exposition sera par la suite présentée au ZKM Media Museum (Karlsruhe, Allemagne). En 2005, The University of California Press publiait Secret Agent, Private I, The Art and Film of Lynn Hershman Leeson.

Elle est professeure émérite en art numérique au Techno Cultural Studies Program à l’Université de Californie à Davis et présentement A.D. White Professor-at-Large à l’Université Cornell, la plus haute distinction accordée par cet établissement.

Sept œuvres de Lynn Hershman ont été exposées au Musée des beaux-arts de Montréal à l'automne 2007 dans le cadre de l'exposition e-art : Nouvelles technologies et art contemporain, dix ans d’action de la fondation Daniel Langlois.

Jean Gagnon © 2006 FDL

(1) Voir Moira, Roth and Diana, Taini «Interview With Lynn Hershman» in Lynn Hershman, Chimaera monographie no. 4, Montbéliard Belfort, France, Éditions du Centre international de création vidéo, 1992, p. 108.

(2) Persona, catalogue d'exposition, The New Museum, New York, 1981, p. 15.

(3) Video and orality, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, Ont., Canada, 10 décembre 1992-28 février 1993. - Commissaire : Jean Gagnon. Catalogue. Également publié en anglais sous le titre Video and orality. Voir Lynn Hershman : Virtuellement vôtre. - Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada, 1995. 21 p.

(4) Voir Lynn Hershman : Virtuellement vôtre, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada, 1995. 21 p. - Également publié en anglais sous le titre Lynn Hershman : Virtually yours.

(5) Texte recommandé pour une excellente présentation du projet et du film en résultant. http://www.heise.de/tp/english/pop/topic_2/4102/1.html