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David Rokeby, The Giver of Names (1991-)

Collection documentaire

Introduction à la collection, par Caitlin Jones et Lizzie Muller

Entre la réalité et l’idéal

Au tout début de ce projet de collaboration, nous avons tenté d’établir un lien entre nos approches respectives. L’approche de Caitlin, inspirée des outils du Réseau des médias variables, visait à recourir à l’intention de l’artiste comme moyen de favoriser d’éventuelles considérations en matière de préservation. Le principe-clé de cette approche est de recueillir des informations sur l’essence (ou le « noyau ») d’une œuvre d’art, peu importe le médium avec lequel elle a été créée. Cette approche vise à créer un lien entre les traits conceptuels de l’œuvre (idées philosophiques qui sous-tendent les intentions de l’artiste) et ses aspects techniques (comprenant les décisions de l’artiste en regard des composantes matérielles, des logiciels, des paramètres d’installation et des facteurs environnementaux de l’œuvre). L’approche de Lizzie portait sur les traits expérientiels de l’œuvre, sur la façon dont l’œuvre est approchée dans la réalité par les visiteurs qui en font l’expérience, et reposait sur l’idée que les œuvres d’art (particulièrement les installations interactives), existent en rapport avec l’expérience humaine plutôt que comme de simples objets discrets. La stratégie implicite à cette approche est de créer un portrait vivant de l’œuvre telle qu’elle se vit réellement, et ce par le biais d’entretiens en profondeur avec des visiteurs qui en ont fait l’expérience. L’origine, le raisonnement et la méthodologie qui sous-tendent ces deux approches sont décrites plus en détail dans ces deux publications.

Lorsque nous avons commencé à rassembler nos documents, nous avons fait face à une apparence de conflit entre nos deux approches; alors que Caitlin cherchait à identifier une forme d’œuvre « idéale » en explorant les caractéristiques de l’œuvre qui n’avaient rien à voir avec le médium utilisé, l’approche de Lizzie mettait l’accent sur l’expérience vécue par le public, qui s’avérait souvent très différente des attentes ou des souhaits formulés par l’artiste. Cet écart entre l’intention de l’artiste et l’expérience du public n’est pas une nouvelle découverte dans le domaine de la théorie de l’art. Lors de la révolution opérée par les critiques poststructuralistes du siècle dernier, il a été établi que la position de l’auteur pouvait être un élément important mais non déterminant dans l’interprétation d’une œuvre d’art. Quoi qu'il en soit, cet écart demeure un problème pour la documentation et la préservation des formes d’art éphémère où, en l’absence d’un objet concret, net et discret, les intentions de l’artiste sont souvent la pierre angulaire de la façon dont une œuvre sera préservée, exposée, et décrite dans l’avenir.

Nous avons constaté qu’une tension productive se développait entre nos deux approches, ainsi qu’entre les notions d’œuvre « réelle » et « idéale » qui les sous-tendaient. Ces deux approches se confrontent de façon enrichissante, car chacune offre à l’autre des informations complémentaires, ce qui finit par créer un tableau d’ensemble plus riche, plus profond, et plus complexe. L’approche du Réseau des médias variables vise à recueillir des informations détaillées sur les intentions de l’artiste et sur le degré de variabilité de ses composantes techniques. L’idée d’une version idéale de l’œuvre provient habituellement de l’expérience de l’artiste au fil des diverses installations ou « versions » d’une œuvre. En cherchant à identifier les similarités et différences qui prévalent entre ces versions, les conservateurs peuvent identifier clairement quels sont les éléments de l’œuvre qui, aux yeux de l’artiste, méritent d’être préservés au fil du temps. Il en résulte une vision de l’œuvre qui, la plupart du temps, n’a pas été incarnée dans la réalité. L’approche expérientielle, par ailleurs, vise à recueillir les témoignages d’expériences vécues par le public, offrant un tableau riche et détaillé de la réalité de l’œuvre telle qu’elle a existé mais ne fournissant pas d’informations techniques essentielles quant au pourquoi et au comment elle a été réalisée.

Même si nos approches ne se sont jamais exclues l’une l’autre, le fait de reconnaître de façon explicite la tension qui existe entre la vision réelle et idéale d’une œuvre nous a fourni une stratégie pour régler certains problèmes inhérents à nos approches respectives et développer une méthode « holistique » pour la documentation des œuvres en médias variables. Au fil de cette démarche combinée, nous avons cherché à réunir des comptes rendus à la fois idéaux et réalistes de l’œuvre, sans chercher à effacer ou amoindrir les différences qui prévalaient entre eux. En constituant cette collection, nous avons plutôt essayé de préserver et d’exploiter cette tension de diverses manières; tout d’abord en incluant dans notre documentation un entretien avec l’artiste et des entretiens avec le public, puis en structurant et en organisant les données dans un site commun, et enfin, en créant des « poteaux indicateurs » reliant des informations sur les caractéristiques de la version idéale de l’œuvre et des documents témoignant de son existence dans la réalité.

Caitlin Jones & Lizzie Muller © 2008 FDL