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Frances Dyson, Et puis ce fut le présent

9 Evenings

Alex Hay, Grass Field, 1966 (video)
Alex Hay, Grass Field, 1966 (video)
Alex Hay : sonoriser le corps

Il est possible de voir Grass Field, la chorégraphie d’Alex Hay pour 9 Evenings, comme une recherche portant sur la connexion sans fil et l’extériorisation des fonctions internes du corps. En effet, les pulsations du cœur, la respiration, les contractions musculaires et même les ondes cérébrales devaient être amplifiées et projetées sur un grand écran au fond de la scène. Dans une entrevue accordée à Alfons Schilling, Hay mentionne qu’au départ, il souhaitait exploiter la mobilité et la flexibilité du son de telle sorte que le public puisse entendre des sons transmis par différentes sources qui ne se trouvaient pas nécessairement à proximité des haut-parleurs. De plus, il voulait travailler avec les sons réels plutôt que leur représentation électronique sous forme d’enregistrement diffusé. (1)

La performance comme telle pose de nombreuses difficultés : les transmetteurs cessent de fonctionner avant la fin de l’événement, mais pas les amplificateurs, « alors j’arrivais à capter le mouvement des muscles oculaires, et quelques pulsations cardiaques [...], et puis l’activité musculaire de mon dos, et tout cela a fonctionné le premier soir, mais avec une station radio FM que j’entendais en superposition. » (2) Quand les signaux des ondes cérébrales, très difficiles à cerner, commençaient à se faire entendre comme des sons assourdis de tonnerre durant la dernière partie de la deuxième performance, « David [Tudor], pensant qu’il s’agissait d’une erreur, a coupé le son [rires]. » (3)

Alex Hay : représenter le corps avec la technologie

Projetée sur un écran, l’image agrandie du visage d’Alex Hay (avec des électrodes sur les tempes), l’air parfois méditatif, parfois préoccupé; l’étrange rituel de sa « danse » alors qu’il traverse la scène en transportant un curieux « sac à dos » rempli de petits transistors — tout cela semblait sortir d’un film de science-fiction. Il n’est pas étonnant qu’Alfons Schilling, dans son entrevue avec Hay, lui demande s’il « souhaitait avoir un bras artificiel », enchaînant avec la problématique des implants, de la vie dans l’espace, et ainsi de suite. Tout en déclarant qu’il « cherchait à manipuler son corps de façon mécanique », Hay précise qu’il ne « s’intéressait pas à l’homme mécanisé. » (4) Pas plus qu’il ne s’inspirait de la rhétorique « cybernétique » pour parler de son œuvre, comme le feront plus tard certains artistes, notamment Stelarc.

Il semble que le véritable intérêt de Hay se trouve dans le corps et ses « possibilités ». « Je ne voulais pas utiliser la programmation pour améliorer certains sons; je veux dire que les sons entendus provenaient de mon activité, c’est-à-dire comme un résultat du mouvement de mes organes. » (5) Les sons produits ou amplifiés représentent donc des indicateurs sonores de l’état du corps de Hay à tel ou tel moment, plutôt que des éléments esthétiques utilisés dans le cadre d’une composition sonore. De nature documentaire plutôt que représentative, ils ont pour fonction de révéler la « vérité » du corps sans passer par la surface de la peau.

Bien qu’avec une visée radicalement différente, la recherche et les procédés d’ingénierie nécessaires au projet de Hay ressemblent beaucoup à la recherche médicale et au cadre technique utilisés par l’australien Stelarc, artiste en performance, notamment pour sa « sculpture d’estomac. » (6)

L’ingénieur Robby Robinson commente après 9 Evenings :

« Devenir familier avec les différents types de sons produits par le corps et le genre de détecteurs permettant de les capter s’est avéré une forme d’apprentissage en soi. On a consulté des spécialistes dans plusieurs hôpitaux. On s’est informé auprès de compagnies d’équipement médical [pour trouver les détecteurs adéquats]. [...] On était aux prises avec d’incroyables difficultés. Comme le genre d’amplificateur requis pour un certain type de son ne se trouvait pas sur le marché, il a fallu, une dizaine de jours avant la performance, opter pour une nouvelle approche à partir de circuits intégrés. [...] Les ingénieurs ont sué sang et eau sur ces petites boîtes qui n’arrivaient pas à se stabiliser et à produire ces bruits imperceptibles du corps. » (7)

Frances Dyson © 2006 FDL

(1) Entretien avec Alex Hay / Alfons Schilling, 1966, 1 bande sonore (44 min) : analogique; 18 cm, original. Experiments in Art and Technology. Records 1966-1993, Research Library, The Getty Research Institute, Los Angeles, California (940003). Transcriptions de l’auteur.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

(4) Ibid.

(5) Ibid.

(6) Selon Stelarc, « il s’agit d’insérer une œuvre d’art à l’intérieur du corps, de placer la sculpture dans un espace intérieur. Le corps devient creux, sans distinctions véritables entre l’espace public, privé, et physiologique. La technologie envahit le corps et fonctionne à l’intérieur, non pas comme un substitut prosthétique, mais comme un ornement esthétique. On ne regarde plus l’art, on ne pratique plus l’art, mais on contient l’art. Le corps creux se transforme en hôte qui ne reçoit plus le moi ou l’âme, mais seulement une sculpture. » (référence : 8 août 2006): http://www.stelarc.va.com.au/stomach/stomach.html

(7) What Really Happened at The Armory / Robby Robinson, 16 mars 1967, 44 feuillets. Experiments in Art and Technology Records, 1966-1993, Research Library, The Getty Research Institute, Los Angeles, California (940003).