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Frances Dyson, Et puis ce fut le présent

Le pavillon

David Tudor, Anima Pepsi, 1970 (video)
David Tudor, Anima Pepsi, 1970 (video)
Le pavillon et le son

À l’instar de 9 Evenings, la dimension sonore devient le principe organisateur du pavillon Pepsi. Un communiqué de presse, intitulé « An Artist’s View », lancé conjointement par E.A.T. et Pepsi-Cola, attribue à Robert Rauschenberg la suggestion d’utiliser le son comme élément principal permettant de rassembler les idées divergentes proposées pour le Pavillon. « Cela a été le point tournant », dit Bob Breer. « Nous étions épuisés par les discussions, car en tant qu’artistes visuels, nous refusions, inconsciemment, de changer quoi que ce soit à nos idées visuelles. Mais en nous concentrant sur le son, nous pouvions opérer, car c’était un domaine où nous n’avions pas de préjugés enracinés. » Le communiqué se poursuit ainsi : « Ce cheminement de pensée a mené à un élément fondamental du pavillon : le système de boucles sonores intégré sous le plancher, qui concrétise l’idée principale pour l’environnement du pavillon. Un environnement qui permet au visiteur, en se déplaçant dans le Pavillon, de créer ses propres expériences sonores [...]. » (1)

E.A.T. était « le seul producteur étranger à présenter une série de performances au Festival Plaza, le principal lieu de spectacles à l’Expo 70. Nous prévoyons présenter HPSCHD de John Cage et Lejaren Hiller les 3, 4 et 5 septembre. Les clavecins seront installés sur des plates-formes mobiles. » (2)

Tudor au pavillon

Tudor est l’un des premiers artistes, avec Forrest Myers et Robert Whitman, à participer au projet. Responsable de la partie intérieure de l’aire de performance, Withman propose comme idée de base un espace interactif et un public participant : « Ce que l’on veut faire, c’est de réaliser un environnement théâtral accessible en tout temps. » (3)

Tudor intervient en transformant la partie intérieure en espace acoustique. Il souligne ainsi l’aspect concret du son et la possibilité de le faire circuler dans l’espace : « J’espère aller au-delà d’un certain point, afin de voir ce que la vitesse elle-même peut générer, quelles sortes d’éléments sonores ne nécessiteront pas une reproduction fidèle ou pourront agir comme un générateur de sons d’un nouveau genre. » (4)

À cette époque, faire circuler rapidement le son dans sa dimension concrète à travers l’espace représente pour Tudor un moyen de le modifier de façon fondamentale. À la différence de Cage, il ne s’intéresse pas au son comme objet ou source narrative, mais comme moyen de créer des « frontières spatiales »; d’où le mur sonore conçu pour 9 Evenings.

En recourant au mouvement du son dans ses travaux, Tudor anticipe la spatialisation sonore, qui permet de localiser une source audio dans un espace où elle se meut. Mais son approche diffère de celle de Cage car elle ne met pas l’accent sur l’aspect référentiel du son. Plus spécifiquement, en tentant de « voir quels éléments sonores ne nécessiteront pas une reproduction fidèle », Tudor non seulement se démarque du réalisme sonore qui prédomine dans la plupart des œuvres d’art médiatique, mais il remet en question le principe de « haute-fidélité » qui diminue ou nie la différence entre le son original et sa reproduction, et qui élimine la présence du dispositif technique.

Tudor se montre déçu des résultats obtenus avec le système de diffusion sonore du pavillon. « Au début, on met en place les éléments avec lesquels on veut travailler; puis le travail de l’ingénieur consiste à l’interpréter. S’il m’est impossible de comprendre de l’intérieur les problèmes techniques, et qu’on ne me permet pas de proposer une autre possibilité allant dans le sens de la technique, l’objet prend la forme voulue par l’ingénieur. C’était une voie à sens unique, et mes idées de départ disparaissaient une à une. » (5)

La technologie du son : HPSCHD

L’œuvre multimédia HPSCHD de John Cage a été conçue pour sept clavecins, 52 enregistreuses, huit projecteurs de cinéma et 64 projecteurs de diapositives. Coproduite avec l’ingénieur/compositeur Lejaren Hiller, la pièce est présentée en mai 1969 devant un public de mille personnes au Assembly Hall de l’université de l’Illinois à Urbana. (6) En utilisant le I Ching, Cage recueille de façon aléatoire un grand nombre de combinaisons qui devront être jouées dans HPSCHD. Mais contrairement à d’autres œuvres livrées aux seules circonstances du hasard, l’exécution de celle-ci dépend d’un ordinateur.

D’autre part, des accords de Mozart à peine audibles, avec une pièce de Cage intitulée Introduction to the Composition of Waltzes by Means of Dice, constituaient la majeure partie du contenu « musical » de l’œuvre. En passant à l’ordinateur tout en retrouvant Mozart, Cage boucle la boucle : la quantité d’événements et de références musicales/visuelles disparates présente un niveau élevé d’unité, de cohérence et d’organisation. Cette qualité ne se trouve pas tellement dans les images ou les sons comme tels, mais émane plutôt des médias et des mécanismes responsables de leur génération et de leur intégration. L’effet et le but recherchés sont donc les mêmes que pour Variations VII, en ce que la technologie, cet outil supposé « neutre », est mise au premier plan, les médiums et la technologie devenant le « sujet de l’œuvre ». La performance Variations VII présentée lors de 9 Evenings fait se mouvoir dans l’espace les « sons eux-mêmes » par le truchement des divers systèmes électroniques, radiophoniques et téléphoniques. En revanche, l’univers sonore de HPSCHD n’est pas seulement tributaire de la technologie — prépondérance de la rétroaction —, mais sa « composition » résulte de traitements effectués par ordinateur. À l’image inversée de 4'33", cette pièce qui permet au son ambiant de devenir musique, HPSCDH donne voix au « silence » en tant qu’activité sonore non intentionnelle et néanmoins électronique. La distorsion et la rétroaction produites par les nombreux amplificateurs génèrent un vacarme électronique, un épais mur de son/bruit où les « sons comme tels » peuvent aussi bien disparaître que devenir le cadre dans lequel la métaphore de la technologie, et la technologie elle-même, prennent sens.

Frances Dyson © 2006 FDL

(1) The Pepsi-Cola Pavilion / Experiments in Art and Technology; PepsiCo International, [septembre 1969], p. [2-3]. Communiqué de presse. La fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie, Collection de documents publiés par Experiments in Art and Technology. EAT C7-9 / 4; 136.

(2) A Report on E.A.T. Activities / Experiments in Art and Technology, 1er juin 1970, [23] p. La fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie, Collection de documents publiés par Experiments in Art and Technology. EAT C10-1 / 13; 177.

(3) Lindgren, Nilo, « Into the Collaboration », in Pavilion, sous la direction de Billy Klüver, Julie Martin et Barbara Rose, New York, E. P. Dutton, 1972, p. 14.

(4) Ibid., p. 18.

(5) Ibid., p. 58.

(6) Voir Thompson, Vigil, A Virgil Thompson Reader, Boston, Houghton Mifflin, 1981, p. 475.