Veuillez patienter pendant que nous traitons votre requête
Veuillez patienter...

Frances Dyson, Et puis ce fut le présent

Le pavillon

Le pavillon Pepsi-Cola, Expo 70, Osaka
David Tudor, Anima Pepsi, 1970 (video)
David Tudor, Anima Pepsi, 1970 (video)
David Tudor, Anima Pepsi, 1970 (video)
David Tudor, Anima Pepsi, 1970 (video) Le pavillon Pepsi-Cola, Expo 70, Osaka
Un environnement proto-immersif et organique

Le concept du pavillon comme un environnement est d’abord lancé par Robert Whitman : « On voulait tous s’éloigner du type d’environnements à la Walt Disney — faire circuler les gens dans un bâtiment, leur indiquer quoi regarder, pour finalement les éjecter à l’autre bout. » Cette proposition correspond bien sûr à l’insistance de nombreux artistes qui, à l’époque, souhaitent que le spectateur participe à la création artistique, qu’il entre en relation directe avec l’œuvre pour en faire ce que bon lui semble. (1)

Dans tous les communiqués de presse, articles et déclarations publiques concernant l’événement, le pavillon est décrit non pas comme une œuvre d’art, mais comme une expérience à vivre au sein d’un environnement immersif. Barbara Rose (co-auteur de l’anthologie Pavilion, publiée en collaboration avec Billy Klüver et Julie Martin en 1971), résume comme suit l’impact du projet :

« Le pavillon n’est pas seulement une œuvre visuelle, il appelle à un ensemble de réactions sensorielles intégrées. [...] Le pavillon n’est pas un objet; c’est une expérience unique [...] Sa mise en forme a été pensée comme un processus créateur, un effort de groupe analogue aux projets communautaires des sociétés préindustrielles. [...] L’effet esthétique est secondaire. » (2)

Cet environnement représente, au moins pour Rose, une nouvelle forme de communauté; il annonce une nouvelle civilisation déterminée par un système de valeurs inédit, par l’effacement de la ligne de démarcation entre l’art et la vie, et par la participation active du public. Au final, cela provoquerait l’effondrement de la culture traditionnelle issue de la post-Renaissance : « Le pavillon présuppose une culture très différente, à tous égards, de celle de la post-Renaissance. Il accueille l’art comme une composante de la vie, comme une expérience aussi éphémère et changeante dans sa forme que la vie elle-même. » (3)

Immersion et cybernétique

En 1972, Barbara Rose décrit le pavillon et la sensibilité artistique animant les événements associés à E.A.T. dans des termes qui réapparaîtront, trois décennies plus tard, au sein de débats sur la « nouvelle » ère de l’art et de la technologie. Le pavillon est une expérience multisensorielle plutôt qu’un objet. Sa forme « évolue »; sa création permet de réintroduire un aspect du passé communautaire des sociétés préindustrielles. Il représente le rejet des pratiques artistiques issues de la post-Renaissance et le développement d’un nouveau système de valeurs. À partir de ces valeurs et de cette nouvelle esthétique, les édifices abritant l’art se transforment en quelque chose d’organique, « symboles d’un organisme toujours en état de changement subtil et de mouvement. » (4) Ces valeurs et cette esthétique éliminent également la séparation entre l’artiste et le spectateur, l’œuvre d’art et le public, l’art et la vie. Elles remettent en question la possibilité même de « l’art » comme tel. Ce sont ces dissolutions que Gene Youngblood décrit en 1970 comme « l’empire ouvert de l’ère cybernétique » :

« Grâce à certains partis pris esthétiques tout comme l’usage de la technologie, les divisions entre l’art et la vie, entre le réel et l’irréel, sont désormais complètement brouillées. L’ère de la cybernétique est celle du nouveau romantisme. Encore une fois, la nature est redevenue un empire ouvert, comme au temps où l’homme croyait que la terre était plate et s’étendait à l’infini. Quand la science a découvert que la terre était ronde, et donc un système clos, on a pu parler en termes de paramètres, et le romantisme a été démystifié par le vocabulaire de l’existentialisme. Mais nous avons échappé aux limites de la terre pour entrer de nouveau dans un empire ouvert où toute forme de mystères devient possible. Nous sommes des enfants se lançant dans l’aventure de la découverte. » (5)

Les métaphores utilisées par Youngblood sont significatives : l’idée d’un nouvel « empire », d’un nouvel âge, se mêle au sentiment de découverte et d’innocence associé aux « enfants ». Comme cette approche de l’« empire » diffère de la métaphore du château utilisée par Klüver! Alors que Klüver, sans doute à cause de son pragmatisme, envisage la technologie comme une ressource qu’il veut rendre plus accessible, Youngblood la définit comme une ère et un paradigme révélant un nouveau territoire, quoique virtuel. Quant à Barbara Rose, elle associe le pavillon, et tout ce qu’il représente, à la communauté, à un organisme vivant, et à la vie elle-même.

Frances Dyson © 2006 FDL

(1) Tomkins, Calvin, « Outside Art », in Pavilion, sous la direction de Billy Klüver, Julie Martin et Barbara Rose, New York, E. P. Dutton, 1972, p. 8.

(2) Rose, Barbara, « Art as Experience, Environment, Process », in Pavilion, sous la direction de Billy Klüver, Julie Martin et Barbara Rose, New York, E. P. Dutton, 1972, p. 60.

(3) Ibid., p 61.

(4) Rose, Barbara, « Art as Experience, Environment, Process », in Pavilion, sous la direction de Billy Klüver, Julie Martin et Barbara Rose, New York, E. P. Dutton, 1972, p. 61.

(5) Youngblood, Gene, « The Open Empire », Studio International, Vol. 179, no. 921 (Apr. 1970), p. 177-178.