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Frances Dyson, Et puis ce fut le présent

Art et technologie

Automation House, The New York Times, 1970
Automation House, The New York Times, 1970 Automation House, The New York Times, 1970
Automation et art

En route vers Automation House


Tout comme le pavillon avait été enveloppé d’une brume d’idéaux artistiques éphémères nuisant à sa visibilité et à sa compréhension, la vision de Theodore Kheel sur l’alliance entre E.A.T. et l’American Foundation on Automation and Employment Incorporated (dont il est le P.D.G.) semble pour le moins trouble. Le dilemme des artistes faisant appel à la technologie — surtout pour critiquer une culture déjà chargée de technologie et dépendante d’elle — se répète, mais cette fois dans un contexte où les travailleurs en font usage. Lors d’une conférence de presse donnée pour E.A.T. le 10 octobre 1967, Kheel décrit la American Foundation on Automation and Employment comme un « organisme à but non lucratif visant à promouvoir l’usage de l’automatisation en trouvant une solution aux problèmes de chômage qui en découlent et à démontrer ce que peuvent accomplir la main-d’œuvre et la gestion d’entreprise ». Selon le communiqué de presse, les deux organismes ont alors comme visée : « de maintenir un climat constructif pour reconnaître [les bénéfices de] la nouvelle technologie et les arts grâce à une collaboration civilisée entre des groupes œuvrant de façon déraisonnable dans l’isolement », d’éliminer « le clivage entre l’individu et le changement technologique, d’élargir et d’enrichir le champ de la technologie afin d’offrir à l’individu diversité, plaisir et façons d’explorer et de s’engager dans le monde contemporain. » Les motivations et les sentiments de Kheel sont remarquablement similaires à ceux de Klüver et de Rauschenberg : « Nos deux organisations partagent les mêmes objectifs : nous accueillons la nouvelle technologie en ce qu’elle peut contribuer à offrir aux individus de nouvelles avenues pour l’accomplissement de soi. Les nouvelles technologies vont et doivent aller de l’avant. L’individu doit participer [à ce changement] et non pas y faire obstacle. » (1)

En effet, l’insistance de Kheel à vouloir éliminer le sentiment de séparation — on pourrait presque parler d’aliénation — que ressent l’individu privé des bénéfices du changement technologique, témoigne également d’un changement dans la pensée de Klüver. Dans un communiqué de presse sans doute émis après la déclaration de Kheel, Klüver manifeste un désengagement par rapport aux préoccupations spécifiquement artistiques : « E.A.T. n’a pas été conçu pour le bénéfice des artistes. Experiments in Art and Technology est un moyen tout à fait révolutionnaire d’encourager les responsabilités individuelles dans le développement des nouvelles technologies. Nous ne pouvons plus nous déclarer innocents quant aux conséquences humaines et sociales du changement technologique. [...] Cette responsabilité suppose la quête d’une technologie orientée vers le plaisir et le divertissement. [Elle] présume l’élimination de toute forme de distinction entre travail et loisirs. » (2)

Comme en témoigne sa lettre à Donald Kendell datée du 8 avril 1970 (3), Klüver se montre bien conscient de la situation particulière des artistes dans le monde de l’entreprise.

Un an plus tard (en avril 1971), dans « Cable Television and the Artist », il souligne les raisons pour lesquelles les artistes devraient travailler avec la télévision :

« Le rôle de l’artiste a toujours été de franchir les barrières esthétiques imposées par les institutions et, ce faisant, l’usage de tous les médiums mobilisés par lui s’en trouve élargi et enrichi. [...] Le système de télévision par câble doit être en mesure de répondre aux idées d’artistes tels que John Cage, Yvonne Rainer, Alexander Calder, Frank Stella, Robert Creeley, Nam June Paik et leurs collègues [...]. Traditionnellement, l’artiste opère dans son propre système de lois, d’institutions et de valeurs, qui diffère des pratiques sociales habituelles [et] dont certaines particularités sont reconnues par la loi : les œuvres d’art peuvent être importées sans frais de douanes, même si elles sont composées de matériaux taxables; une œuvre d’art digne de ce nom n’est pas soumise aux critères habituels de la loi sur l’obscénité. L’artiste n’accorde pas le droit d’auteur à ses œuvres; il n’a aucun contrôle sur une œuvre à partir du moment où elle est vendue, sauf qu’on ne peut l’altérer. L’artiste puise ses matériaux dans le monde autour de lui, et il n’est pas obligé de demander la permission ou de payer des droits — les Brillo Boxes d’Andy Warhol représentent un exemple célèbre. » (4)

Frances Dyson © 2006 FDL

(1) Press Conference for E.A.T. / Experiments in Art and Technology, 10 octobre 1967, [1] p. Communiqué de presse. La fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie, Collection de documents publiés par Experiments in Art and Technology. EAT C3-12; 55.

(2) Ibid.

(3) Lettre à Donald M. Kendall / Billy Klüver, 8 avril 1970, [3] p. La fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie, Collection de documents publiés par Experiments in Art and Technology. EAT C9-14 / 3; 175.

(4) Cable Television And the Artist : Statement Prepared for the Sloan Commission on Cable Communications / Experiments in Art and Technology, avril 1971, [4] p. La fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie, Collection de documents publiés par Experiments in Art and Technology. EAT C12-12 / 3 ; 227.