Telematic Vision : collection documentaire
Entretien avec Paul Sermon
Paul Sermon pendant un entretien à Multimediale 3 en 1993 au ZKM (Karlsruhe, Allemagne).
Photo : Gracieuseté de l'artiste.
L'entretien s'est en fait déroulé comme une conversation semi-structurée entre Paul Sermon et Rolf Wolfensberger le 12 août 2008 à la School of Art and Design de l'université Salford, à Manchester en Angleterre. Enregistrée et transcrite, la conversation portait sur Telematic Vision et offre un mélange de questions concernant des aspects techniques très concrets et une narration de la création et de l'histoire de l'œuvre d'art. Mais la conversation touche également à des problèmes d'ordre général quant à la préservation de l'œuvre et la documentation de l'expérience du public.
« L'art télématique interactif lance un défi aux moyens de reproductibilité mécanique. »
Une conversation entre Paul Sermon (PS) et Rolf Wolfensberger (RW), 2008 :
RW : Le point de départ de cette conversation à propos de Telematic Vision se trouve dans le titre de ta présentation lors de la série Danube Tele-Lecture à Vienne en 2007 :
« L'art télématique interactif lance un défi aux moyens de reproductibilité mécanique. » Et aussi dans ton concept : « L'œuvre d'art elle-même n'est pas l'installation, mais l'action découlant de l'interaction des participants [...] le regardeur est le spectacle. [...] Le dispositif n'est qu'un moyen pour réaliser une signification [...] le matériel peut changer – il doit être adapté au concept. »
Tu as élaboré Telematic Vision en 1993 durant une résidence à l'Institute for Visual Media du ZKM à Karlsruhe. Prenant appui sur le concept artistique de l'œuvre, tu as alors créé un dispositif matériel ou un appareil technique. Est-ce que ce dispositif originel possède le statut d'un appareil modèle ?
PS : Le titre de ma présentation à Vienne reprend la notion de reproduction de Walter Benjamin concernant la manière dont l'œuvre est reproduite. Je ne cherchais qu'à souligner que l'œuvre elle-même n'est pas nécessairement reproduite. Il s'agit plutôt d'un système qui est reproduit, dont les résultats peuvent être similaires, mais jamais identiques. Alors, dans un sens, je me réfère à cette notion d'un système ouvert avec des conséquences indéfinies. Dans une certaine mesure, on peut prédire ces conséquences, mais elles ne sont jamais limitées. En résulte que les participants s'engagent dans le dispositif de façons inédites pour eux. Il peut y avoir des similarités, mais éventuellement le public trouve de nouveaux récits et de nouvelles façons de s'investir dans le dispositif. Donc les retombées ne sont pas limitées. Voilà ce à quoi j'essayais de faire allusion, c'est-à-dire que le dispositif tente de transcender ce paradigme.
Histoire du processus créatif
RW : Le modèle technique que tu as créé en 1993 n'était qu'un dispositif possible à ce moment précis. Et il faisait partie d'un système ouvert. Le dispositif est conçu comme étant variable à la condition que le concept artistique soit observé.
PS : J'ai élaboré ce dispositif à Karlsruhe lors d'une résidence commencée en février 1993, et j'ai présenté un prototype à Cologne en septembre dans le cadre de Interactiva. La résidence m'a permis de développer ce dispositif, de le tester et trouver son mode de fonctionnement. Il y avait un précédent, Telematic Dreaming, un dispositif avec deux lits, que j'avais réalisé en juin 1992 en Finlande. En fait, j'avais également réalisé une œuvre entre les deux dont nous devrions sans doute parler et qui compte pour moi parce que, selon moi et d'une certaine façon, elle ne fonctionnait pas. Je pense à Telematic Séance.
À Karlsruhe, j'ai profité du studio et de l'équipement et j'ai été en mesure d'expérimenter; c'était presque comme un décor scénique. Et quelques-unes de mes premières expérimentations portaient sur le dispositif avec les lits. J'utilisais des projections pendant ces expérimentations et, au début, j'avais recours à un divan blanc. Je projetais ces images sur la surface blanche du divan. Je tentais littéralement de reproduire l'œuvre précédente en utilisant un divan, mais cela ne marchait pas vraiment pour moi. Je ne me sentais pas à l'aise avec la déformation de la figure projetée sur la surface du divan qui devenait floue parce que la surface n'était pas à plat. Les proportions n'étaient pas justes, et toutes sortes de questions me préoccupaient un peu. Je n'arrivais pas à aucuns résultats satisfaisants. Ces expérimentations se sont déroulées autour de Pâques en 1993.
Par après, je suis allé en Finlande pour réaliser une nouvelle installation à la suite d'une seconde invitation pour participer au deuxième Festival des nouveaux médias à Espo. Ils m'ont demandé de produire une nouvelle œuvre pour la galerie Otso. Comme je travaillais déjà sur Telematic Vision pour le ZKM, je devais trouver une nouvelle idée et j'ai produit Telematic Séance, cette œuvre que j'ai mentionnée. Elle s'est avérée difficile à faire et, d'une certaine façon, elle ne fonctionnait pas vraiment. Je n'ai pas eu l'occasion de la tester. Je suis arrivé là-bas avec un concept. J'avais également fait la même chose avec Telematic Dreaming. J'arrive avec un concept, sans l'avoir auparavant expérimenté ou même juste essayé. Mais, à vrai dire, j'ai été très chanceux que cela marche vraiment avec Telematic Dreaming. J'ai suivi la même approche expérimentale avec Telematic Séance et j'ai projeté sur une table ronde une image de moi-même sur la surface d'une autre table et transmis ces images dans un mouvement de va-et-vient entre les deux endroits. Mais je pense qu'avec le titre de l'œuvre, les gens ne savaient pas trop quoi faire, c'était trop compliqué. Ils n'étaient pas familiers avec le thème de la séance. J'étais cette figure bougeant sur la table et les gens se contentaient de taper sur ma tête. Et ils se parlaient entre eux parce que j'avais dû également introduire l'audio. Mais le public n'interagissait pas de la façon escomptée, ou ils n'interagissaient pas du tout. Ils étaient un peu mal à l'aise.
Ce projet m'a exténué parce que c'était l'opposé du succès remporté avec le lit. Techniquement, c'était exactement le même dispositif, mais dans un contexte différent; une surface différente pour la projection et le résultat était complètement différent. Ce qui m'a amené à réfléchir sur la nature du problème. Ce n'était pas nécessairement ou exclusivement l'appareil technique que j'avais conçu qui donnait de bons résultats. Et je me suis senti inconfortable à l'idée de dupliquer le concept des projections sur les divans.
Cette même année à Karlsruhe, j'ai également refait le lit pour V2 alors que le centre était encore situé à Bois-le-Duc ('s-Hertogenbosch). C'est à ce moment-là que je suis devenu très intéressé par la surface de projection et les moniteurs de chaque côté du lit. Et je me suis rendu compte que les gens ne regardaient pas la surface du lit, mais plutôt les moniteurs. Ils n'étaient pas seulement intéressés par cette autre personne, mais par eux-mêmes également. Pour moi, cela a été comme une sorte de révélation, une compréhension qu'il ne s'agit pas seulement de voir cette personne, mais bien plutôt de se voir soi-même, soi-même comme acteur, performeur, marionnette, avatar. L'écran est le lieu intéressant, où les choses se passent, dans cette image composite. D'un point de vue technique, c'était un saut radical dans l'élaboration de l'œuvre pour Karlsruhe et j'ai décidé de ne pas introduire de projections vidéo et d'utiliser seulement la technologie d'incrustation-couleur entre les deux sites et les moniteurs. En procédant de cette manière, j'ai également réglé le problème découlant de la nécessité d'avoir un espace sombre pour la projection et la caméra, et ainsi de suite. Cela m'a permis d'avoir maintenant deux lieux illuminés. Voilà comment je suis plus ou moins arrivé à la composition technique de Telematic Vision. Je devais trouver où placer les écrans après avoir observé comment les gens interagissaient. Alors il était très important d'avoir un écran devant et un de chaque côté des accoudoirs du divan.
RW : C'était comme un déplacement de l'endroit où l'action prend place. Tu l'as déplacé de l'espace réel du lit ou du divan vers cet espace virtuel sur le moniteur. Les participants se trouvent eux-mêmes dans un nouveau lieu.
PS : En réalisant le dispositif avec le lit, j'ai trouvé que l'endroit le plus intéressant était l'espace du lit bleu. C'était également une sorte de lieu contrôlé dans lequel j'étais le performeur à ce moment-là. C'était un emplacement beaucoup plus intéressant pour moi, je n'avais pas cette autre figure sur le lit. Alors je n'avais pas à me soucier de cette sorte de présence. Je devais par contre m'intéresser à l'absence, cette absence de la personne et à notre présence en collaboration sur l'écran.
Sur le divan, la personne à mes côtés n'était pas une figure présente dans la projection, mais la personne était encore là de quelques façons. La chose visible se présentait sur l'écran et la chose invisible se trouvait assise à côté de moi sur le divan. Cette présence qui se déployait dans l'espace était beaucoup plus intense qu'avec la projection. Voilà l'aspect que j'ai davantage exploré avec le divan.
RW : Avec les différentes versions de Telematic Vision qui ont été mises en scène depuis 1993, est-ce que tu distinguerais toujours un dispositif qui pourrait être l'original, ou est-ce que tu le vois plutôt comme un continuum en ce sens de différentes réalisations matérielles qui re-produisent l'idée originale ?
PS : Je pense que certaines choses sont essentielles. Les deux aspects principaux sont le divan et le téléviseur frontal et la situation relationnelle de ces deux objets. Le divan est très rarement plus près de deux mètres ou plus loin de trois mètres du téléviseur, ce qui reproduit en quelque sorte la situation habituelle d'un salon. L'autre considération est bien sûr l'angle de la caméra. J'ai toujours opté pour une sorte de vue neutre d'approximativement 45 degrés. Ce n'est pas un plan normal; la caméra est toujours placée au-dessus du moniteur. Je peux le faire différemment, mais je cherche à obtenir une vue à 45 degrés pour faire en sorte de voir toute l'image du corps de la personne assise sur le divan. Les jambes peuvent être coupées, mais lorsqu'on se penche sur le divan, on se trouve presque dans un angle de 45 degrés. Cela relève beaucoup du format de la vidéo à cette distance et à la résolution. L'idée consiste à avoir cette sorte de vue des personnes. C'est un pré-requis de l'installation.
Une autre exigence est qu'il doit y avoir au moins un écran vidéo placé sur un côté du divan, à la gauche ou à la droite. En fait, si un écran se trouve à gauche, l'autre devrait être à droite. De sorte que lorsqu'une personne regarde l'écran et que l'autre personne regarde son écran, elles se verront l'une l'autre. Se trouvant face à face, elles peuvent alors établir un contact visuel et avoir également la possibilité de voir leur image de profil. Je l'ai fait au départ avec deux moniteurs de chaque côté, et je préfère avec deux parce que cela offre plus de possibilités.
Voilà en quoi consistent les principaux aspects. Cette façon de réinstaller ce dispositif me donne plus de possibilités. J'aime expérimenter avec la spécificité des situations, des sites, et de le faire de manières imprévues, par exemple dans des situations où les gens pensent que rien ne va vraiment se passer, ou ils pensent qu'ils ne regardent qu'un divan et un téléviseur.
Variations sur la partition
RW : Mais il y a des variations dans l'agencement de l'installation, surtout avec les possibilités supplémentaires que tu proposais aux interacteurs parce que la version courante présentée au Musée de la communication n'offre plus ces caractéristiques, comme l'alimentation de données télévisuelles en direct dans la première version du dispositif par l'intermédiaire d'un troisième niveau d'incrustation-couleur. Quand ou pourquoi as-tu laissé tomber cet aspect ?
PS : Je l'avais introduit au départ parce que je voulais que le public comprenne que l'installation est un lieu pour regarder le téléviseur afin de les sensibiliser ou de les faire réfléchir au fait que la situation normale de la télé représente un état passif ou une perte d'autonomie. Je voulais les amener à découvrir que leur propre présence leur redonne cette autonomie, qu'ils peuvent prendre le contrôle et qu'ils sont en fait le pivot du dispositif. Ce qu'ils sont vraiment, même sans l'image télévisuelle à l'arrière-plan. J'ai pensé que cet arrière-plan pouvait renforcer ce message. Mais je pense aujourd'hui que je n'ai pas nécessairement besoin de cette caractéristique parce que tout le monde est familier avec cette situation et ils la découvriront par eux-mêmes. Et même si cela ne se passe pas de cette façon, ce n'est pas un problème. En profitant de cette situation, ils récupéreront quand même dans une certaine mesure cette autonomie qui leur est propre.
RW : Dans les premières versions, ils avaient même la possibilité de changer de canaux avec une télécommande, ce qui souligne la situation quotidienne de la télé.
PS : Cela faisait partie de la même chose. Il y avait différentes options pour les deux divans dans la version originale. Sur l'un des deux divans, on pouvait simplement changer de chaînes. En 1993 en Europe, on a assisté à l'émergence d'une énorme quantité de chaînes de télévision qui pouvaient être transmises par satellite ou câble. Particulièrement en Europe centrale, on trouvait des émissions de télé provenant de partout. Je voulais souligner cette attitude de zapper d'une chaîne à l'autre, vautré dans un divan. Je souhaitais inclure cette attitude dans le message – que la notion d'être en contrôle dans cette situation n'était qu'une farce totale.
La caractéristique additionnelle pour l'autre divan est très similaire, alors que les participants pouvaient passer à travers des messages-textes prédéfinis. J'ai eu beaucoup de mal avec le contenu de ces messages. J'ai tenté de diriger leur sens comme s'ils renvoyaient à la communication entre les deux lieux d'une façon qui semblait évidente, comme des sous-titres. Toujours pour suggérer qu'on trouve une certaine forme d'autonomisation par l'entremise des éléments interactifs de la télévision, mais qu'en fait, ce n'est pas le cas ici. Au contraire, l'autonomisation découle de l'image elle-même et de la performance (l'action).
J'ai senti que je n'avais pas besoin de ces caractéristiques, alors je ne les ai plus utilisées. Certainement pas les télécommandes; après Karlsruhe, c'était la première chose à laisser tomber. Par après, l'image télévisuelle à l'arrière-plan était la seconde chose à abandonner, ce qui a rendu l'installation plus facile d'un point de vue technique. Je n'avais pas à me préoccuper de plusieurs niveaux d'incrustation-couleur et de l'éclairage nécessaire avec cette technique, et je pouvais également avoir un des divans d'une couleur différente.
RW : La première fois que nous avons présenté Telematic Vision à Berne en 1998, tu as réintroduit l'alimentation de données télévisuelles en direct, mais tu as également permis que cet aspect soit abandonné.
PS : J'ai également utilisé des images télévisuelles de fond, pas des images en direct de la télé, mais des images préenregistrées dans quelques versions de Telematic Vision et récemment dans quelques autres installations. Ces images étaient fixes, sans mouvement. Trop de mouvement dans ces images de fond cause un problème parce qu'elles prennent beaucoup de bande passante. À cette époque, un simple vidéo clip sur MTV dévorait toute la bande passante et faisait parfois flancher les connexions, à cause des mouvements et des effets spéciaux. Et sans cette activité, l'image était beaucoup plus claire à cause du fonctionnement du codec de compression. C'est une autre raison qui explique pourquoi nous l'avons retirée.
Composants matériels variés
RW : Parlant de bande passante, lors de la première présentation de Telematic Vision à Berne, il y avait un divan dans la vitrine d'un magasin à la gare et un autre au musée. Ils étaient reliés par six lignes téléphoniques RNIS [Réseau numérique à intégration de services], et il y avait un court retard dans la transmission des images à cause des possibilités de la bande passante à ce moment-là. Cette attente caractérisait la possibilité de communication entre les deux sites éloignés. Ce phénomène a disparu à cause de la largeur de la bande passante actuelle et du lien entre les deux endroits au musée par l'intermédiaire de câbles BNC. Il n'y a pas de retard dans ces cas. Est-ce une amélioration, ou manque-t-il quelque chose sans ce retard ?
PS : Il y a des facteurs positifs et négatifs en procédant des deux façons. En fin de compte, à cette époque, une vidéoconférence était possible par le RNIS, en passant par les lignes téléphoniques. Il y avait un court retard, mais c'était intéressant. Cela produisait presque quelque chose comme une action différée. On fait quelque chose et puis on se regarde faire cette chose; un moment après avoir fait quelque chose, cette chose se produit. On entre dans une sorte de synchronie qui nous amène à ralentir le continuum espace-temps pour observer où nous sommes, regarder ce que nous faisons, comprendre notre présence. Voilà qui est intéressant. Les scientifiques travaillant en neurologie, comme Daniel Bennet, ont écrit à ce propos, que la perception arrive comme ça de toute façon. C'est la notion de l'expérience consciente, qui se passe en fait comme une expérience différée. On parle bien sûr de microsecondes, mais il y a une sorte de processus à l'œuvre dans l'esprit, et l'expérience consciente émerge par après. C'est un peu comme une présentation de ce processus parallèle qui se déroule dans l'esprit. Et sur le divan, on ralentit ce théâtre dans l'autre sens. On pense à des choses, on fait des choses, et puis elles arrivent. Mais on reste bel et bien conscient de ça.
RW : On doit ralentir parce que, si on ne le fait pas, on ne peut pas communiquer avec l'autre personne. Les deux doivent ralentir. Maintenant, c'est instantané, en temps réel, sans retard. C'est une amélioration technique, mais cela a changé l'aspect du déroulement de la performance.
PS : Oui, c'est en fait très intéressant. Je n'ai jamais tenté de recréer cet aspect, de reproduire artificiellement ce retard. Mais je suis tout aussi heureux avec le résultat obtenu en temps réel.
RW : Passons à quelques-uns des composants plus techniques qui ont des conséquences sur la préservation du dispositif. Par exemple, le mixeur d'incrustation-couleur qui date de 1997. Il fonctionne encore, mais pourrait tomber en panne à tout moment. Entre-temps, tu as toi-même utilisé d'autres types de mixeur.
PS : Le type ou la compagnie ne sont pas si importants. Je garde toujours l'œil ouvert sur ces produits. Pour le mixage, il y a eu beaucoup de changements depuis 1997, surtout en ce qui concerne les équipements de mixage numérique en ligne ou hors ligne pour le montage vidéo avec un ordinateur, mais ce n'est pas vraiment bon pour nos besoins. Nous avons besoin d'entréee et de sorties vidéo directes, de type plug and play [prêt à l'emploi]. Ces mixeurs sont plus utilisés par les VJ [vidéo-jockeys] d'aujourd'hui. Le marché VJ a introduit beaucoup d'appareils plus petits, compacts, avec des entrées-sorties simples. C'est quelque chose d'assez utile, comme le Edirol V4, qui donne la meilleure incrustation que j'ai vue pour l'instant. Nous devons suivre le changement en ce qui a trait à ces choses techniques.
RW : Un problème similaire a surgi avec les caméras utilisées au musée. En ce moment, on en est à la troisième génération de caméras : nous sommes passés de caméscopes MiniDV à des caméscopes de vidéoconférence et, récemment, à des caméras de vidéosurveillance en circuit fermé.
PS : Avec tous ces produits, on devrait tenter d'obtenir les meilleures spécifications possibles. Mais cela peut changer. La meilleure caméra pourrait ne pas être la plus appropriée pour Telematic Vision. Je recommande toujours l'utilisation de caméras numériques CCD à trois puces, mais si on trouve une caméra à une seule puce avec un balayage linéaire suffisant, ça vaut la peine d'essayer. D'autre part, je n'ai pas encore utilisé la technologie HD [haute définition]. Cela pourrait être intéressant à tester.
RW : Dans ce sens, il y a une autre question épineuse qui porte, non pas sur les caméras, mais sur les moniteurs. Nous utilisons encore des moniteurs à tube cathodique au ratio 4:3 de chaque côté des divans et un gros moniteur de rétroprojection sur le devant. Les moniteurs à tube cathodique sont de plus en plus rares, et les rétroprojecteurs sont problématiques car il est difficile de remplacer les tubes. La solution serait d'utiliser des écrans plats, mais on rencontre alors le problème du ratio 16:9 où l'image serait présentée dans un format panoramique.
PS : Je pense seulement qu'il faut éviter d'étirer la forme humaine afin de garder une image conforme aux personnes sur les divans. À cause de la dimension des divans, le ratio standard 4:3 semble plus approprié que le format panoramique étiré. Mais quand même, cela pourrait être intéressant d'essayer de faire tout le processus en HD. Par exemple, Edirol a développé une version similaire de leur mixeur en HD.
RW : Nous avons parlé à propos des divans, de la distance entre les divans et les moniteurs, etc. comme de paramètres fixés. Les divans eux-mêmes souffrent de leur utilisation. Et aussi les socles pour les moniteurs parce que, selon les types de moniteurs, on doit changer de socles. Quelle est l'importance, par exemple, du design ou de la couleur des divans, ou de l'environnement ?
PS : La chose principale à propos des divans, c'est que lorsqu'on est assis, on devrait voir les images sur les moniteurs à la hauteur des yeux. J'ai déjà indiqué la distance avec le moniteur frontal. Les moniteurs de chaque côté peuvent être éloignés jusqu'à un mètre de l'accoudoir du divan, de sorte que les gens puissent se déplacer autour du divan. On doit pouvoir circuler autour du divan. Le dispositif fonctionne de façon optimale lorsqu'on peut aller derrière le divan. Alors tout le dispositif devient une scène, un objet en soi. On peut aller derrière et jouer avec tout l'espace autour de lui. C'est devenu très clair dans la première version. Mais nous avons également essayé différentes sortes d'arrangements. Cela devrait être un objet isolé, pour que les participants soient en mesure d'explorer ce qu'ils peuvent faire avec leur corps. Tu parlais des divans qui ont dû être réparés et remplacés à cause de l'utilisation. Je me rappelle lorsque je suis allé démonter l'installation à la Biennale de Lyon en 1995, les divans étaient complètement en lambeaux. Ce qui voulait dire que les gens utilisaient l'installation, ce qui est bon signe.
Accord de licence pour la partition
RW : Nous devrions également parler de la licence. Le musée n'a pas acquis Telematic Vision, il a plutôt acheté une licence, limitée à la Suisse, qui spécifiait une série d'instructions concernant l'installation de l'œuvre. Penses-tu, de façon générale, que cette concession de licence est un modèle approprié pour la présentation de dispositifs conceptuels articulés par un processus. L'as-tu souvent fait, ou as-tu entendu parler de cette solution par d'autres collègues ?
PS : On me l'avait recommandé par le passé, et je pense que j'ai la même entente pour Telematic Dreaming avec le National Museum of Film and Photography à Bradford. Ils avaient une licence pour présenter l'œuvre au Royaume-Uni. Et, bien sûr, le ZKM détient une licence similaire pour The Tables Turned. Ce qui veut dire que je ne pourrais pas reproduire le dispositif en Allemagne sans leur permission. C'est le même type d'arrangement que j'ai avec votre musée en Suisse.
RW : Oui, le Musée de la communication détient une licence exclusive pour la Suisse. Bien entendu, tu dois être informé en tout temps à propos du lieu et du moment où l'œuvre est présentée. Et la licence comporte des clauses spéciales si on prévoit prêter l'installation à d'autres institutions ou la présenter à l'étranger, dans des lieux situés à l'extérieur des limites de la licence.
Si on pense aux arts médiatiques, électroniques, qui sont activés par un processus, ou les pratiques conceptuelles, performatives, interactives, etc., plutôt que de vendre l'œuvre d'art à une institution, ou de produire des multiples ou des éditions limitées, on peut accorder une licence à un concept. Cela me semble très approprié pour ce type d'art, dans la mesure où non seulement le concept est sous-tendu par un processus, mais aussi la manière de présenter l'œuvre.
PS : Ça marche bien pour moi comme ça. C'est vraiment comme une pièce de musique, comme une partition musicale. La notation écrite est la substance du dispositif, les instructions, le manuel.
L'expérience dans des contextes variés
RW : Telematic Vision fait partie de l'exposition permanente au Musée de la communication depuis 2003, et on l'avait présenté en plusieurs occasions auparavant. Ces performances répétées deviennent comme un laboratoire où on peut observer des changements subtils dans le phénomène social. Les participants qui interagissent avec ce type de média amènent avec eux leur « connaissance des médias » et se trouvent en présence d'une situation médiatique qu'ils connaissent peut-être déjà ou pas. Quelle est ton évaluation de cet aspect de la « temporalité à long terme » de l'œuvre d'art en relation avec le concept original ?
PS : Oui, en ce qui concerne la temporalité, que le dispositif soit présenté temporairement ou de façon permanente, le savoir qui se construit autour de lui ou les connaissances que les gens apportent avec eux jouent un rôle important.
En fin de compte, les gens vont essayer et faire différentes choses dans l'espace. Par exemple, dans votre musée, en ce qui concerne le contexte global du musée, si vous prenez un groupe d'écoliers qui a déjà passé toute une journée dans l'exposition et qui se retrouve devant les divans, ce qui s'est passé avant et ce qui va se passer après aura certainement un effet. Je pense que ce qui est très important, c'est de toujours se rappeler qu'il s'agit d'une œuvre d'art. Il est utile pour les gens de comprendre le contexte dans lequel ils se trouvent, particulièrement au Musée de la communication. Bien que nous comprenions que le dispositif est une œuvre d'art qui, culturellement, se situe dans le contexte de la technologie médiatique interactive et qui soulève des questions dans ces champs d'activité, nous ne devrions pas perdre de vue cette notion. Et peut-être également pour les étudiants plus âgés ou les chercheurs, cela pourrait être pertinent d'approfondir le contexte du dispositif comme une ressource pour les archives ou les archives médiatiques. Et, bien sûr, il y a l'attitude des gens qui en font simplement l'expérience ou qui regardent d'autres gens qui l'expérimentent. Je pense que le dispositif peut se présenter confortablement dans tout contexte.
RW : Lorsque j'observe les gens assis sur les divans, et lors de la documentation récente du dispositif à des fins de préservation, j'ai eu le sentiment que les gens ne réagissaient pas de la même façon qu'à la première présentation de Telematic Vision il y a dix ans. Leur comportement sur les divans s'est transformé avec l'environnement médiatique. Donc, de manière un peu provocante, je me demande s'il n'y a pas un moment dans le temps à partir duquel le public n'éprouvera qu'une réaction nostalgique envers l'œuvre, parce qu'ils vont trouver la technologie banale et obsolète. Faisons un pas de plus, si tu veux préserver le concept de ce système communicationnel qui propose aux gens d'interagir avec une personne qui n'est pas physiquement présente dans un lieu qui n'est pas réel, tu devrais peut-être produire un dispositif très éloigné de celui conçu en 1993.
PS : Je pense qu'il s'agit plutôt d'une question de contexte : où l'œuvre est située, et comment elle est comprise. Je suis persuadé que les gens font maintenant l'expérience d'une certaine familiarité avec elle, concernant le concept. Dans sa première mouture, une certaine magie en émanait. On se demandait comment cela avait été fait. Sans doute la nouveauté de quelque chose comme ce dispositif qui se transmet par communication RNIS est également perdue.
Par conséquent, je crois que l'installation devrait être située dans son contexte historique, d'autant plus dans votre musée qui est le lieu où de tels dispositifs sont contextualisés. Je pense que je me sentirais à l'aise s'il y avait de l'information – information contextuelle, peut-être même communiquée par l'intermédiaire de matériel vidéo – susceptible d'aider le public à comprendre ce que le dispositif voulait dire à l'époque et comment il fonctionne aujourd'hui. Les gens en ont entendu parler, en tout cas ceux et celles qui ont un intérêt spécifique pour ce genre de travail, les personnes familières avec ma pratique. Pour ces gens, c'est différent, c'est plutôt comme : j'ai tellement entendu parler de cette œuvre, j'ai finalement la chance de la voir. Dans l'ensemble, je pense que le public est toujours fasciné par l'installation. Entre-temps, j'ai produit plusieurs choses nouvelles dans différents secteurs, particulièrement avec Second Life, pour laquelle j'ai fait une recherche portant sur la combinaison de Second Life avec la première vie, créant en fait des choses similaires, mais dans un environnement différent. De ne pas pouvoir parler demeure toujours une caractéristique très intéressante de ces premières installations. On force les gens dans une situation où ils penseraient être en mesure de pouvoir parler. Nous avons de la communication vidéo, pourquoi ne pouvons-nous pas avoir une communication audio ? Voilà les questions avec lesquelles je me suis débattu lorsque j'ai produit le dispositif. Je pense qu'il y avait de bonnes raisons de ne pas offrir le son, et d'offrir plutôt une forme de communication qui n'est habituellement pas familière au public.
Alors je pense que l'installation, avec le temps, aura besoin d'une mise en contexte. Ce qui a évidemment été fait dans la littérature spécialisée mais, tout particulièrement dans votre situation, le dispositif nécessite de nouvelles méthodes de communication dirigées vers le public en ce qui concerne le contexte.
Documentation et discours
RW : C'est ici que la documentation entre en jeu. Dans ta présentation à Vienne, tu faisais référence à l'œuvre Hole in Space (1980) de Kit Galloway et Sherrie Rabinowitz. Tu présentais une séquence vidéo où l'on peut voir comment les gens réagissaient au dispositif à l'époque. Et il est possible de reconstruire comment les gens en ont fait l'expérience. La séquence nous montre en quoi l'œuvre consiste. Peut-être que la seule trace qui reste est la documentation. Et si l'on considère les divans, si on a une documentation montrant le comportement des gens et ce qu'ils nous disent de leur expérience...
PS : Je pense que c'est une histoire, une narration.
RW : De même que nous avons une narration de 1993, il y en a une de 1998, de 2003, de 2008 ? Et si tu veux contextualiser le dispositif dans, disons, vingt ans, tu devrais présenter ces différentes narrations ?
PS : Je pense que la notion d'une histoire renvoie aux premières questions à propos de l'appareil. Si tu expliques le système au public, ils ont presque compris l'œuvre, et tout son potentiel émerge dans leur esprit. Si tu leur dis, pour le divan, eh bien, une caméra y est reliée, et je transmets une image par vidéo et la mixe avec une autre image provenant d'une seconde caméra sur le deuxième divan, etc., et qu'ils ne peuvent parler mais seulement voir leur corps bouger, etc., voilà une histoire. Et les gens vont commencer à l'expérimenter par eux-mêmes. C'est comme une petite histoire qu'on peut raconter en reliant les choses ensemble. Il s'agit également d'une sorte d'histoire avec laquelle j'essaie de mettre le dispositif en contexte.
En ce qui concerne Hole in Space, c'est aussi une histoire, un récit que l'on m'avait raconté avant de voir la documentation. Les gens en parlaient et racontaient l'histoire. Avec de tels dispositifs, il y aura toujours une histoire témoignant de leur contexte global.
Et finalement, on voit la vidéo et on a l'impression de l'avoir déjà vue, parce qu'on a entendu l'histoire qui a construit une image de ce que cela pouvait possiblement être. Je pense que la situation est similaire avec les histoires que les gens racontent à propos des divans ou du lit. Ces récits alimentent la mise en contexte d'un dispositif.
Tu sais, je présume que Kit et Sherrie doivent avoir plus de matériel documentaire sur Hole in Space, mais on entre en contact avec eux et on les consulte tout le temps à propos de cette œuvre dont les gens connaissaient l'existence seulement à travers les histoires qu'on leur avait rapportées. C'est comme si, en quelque sorte, la narration devenait plus importante.
RW : L'œuvre elle-même a une histoire, acquiert son histoire. Si elle est interactive ou participative, l'œuvre est éphémère parce qu'elle n'émerge qu'au moment où les gens l'utilisent. On ne peut capter ce type d'œuvre qu'en la documentant en vidéo. Dans un tel cas, le document montrant les gens interagissant avec l'œuvre se présente comme une substitution de l'œuvre elle-même.
PS : En 2007, la Cornerhouse Gallery à Manchester a présenté Hole in Space dans une exposition intitulée Outside the Box. Il y avait deux grands écrans avec des images grandeur nature de séquences que l'on avait pu voir dans des magasins à New York et Los Angeles en 1980. Ces images synchronisées étaient projetées sur deux murs face à face. Alors c'était comme si les participants en 1980 parlaient ensemble, et on pouvait s'asseoir et suivre cette conversation historique, réalisée à l'époque par l'intermédiaire d'un satellite. C'était une façon très efficace de présenter ce dispositif ou, mieux encore, une documentation de cette œuvre.
RW : Même si l'on possède cette sorte de documentation, et même si l'on a des commentaires des participants à propos de leur expérience, l'expérience individuelle elle-même ne peut évidemment pas être préservée.
PS : Je ne crois pas que la Cornerhouse Gallery a utilisé une séquence documentaire dans le sens strict du terme, du point de vue du documentariste. Ils ont utilisé le matériel de capture de la sortie vidéo comme moyen de documentation. Il s'agit du même type de matériel que j'ai pour Telematic Vision, en grande partie du matériel de capture de la sortie vidéo. J'y accorde une grande valeur parce qu'il me ramène à mon idée à propos de l'écran. L'image sur l'écran n'est pas une image qui est seulement présentée; elle véhicule vraiment le moyen le plus pur de la communication qui se déroule. L'endroit où la communication a eu lieu. Ce n'est pas un enregistrement d'une conversation, c'est la conversation. Lorsque deux corps semblent jouer ensemble, ces gens regardent ce que toi tu regardes. Ils voient exactement ce que tu voies. Bien sûr, on a plus les gens autour d'eux qui, peut-être, les regardaient et faisaient des blagues, ce genre de choses. Mais, lorsqu'on se trouve dans cette situation, on se sent assez isolé. On canalise nos pensées sur l'image projetée sur l'écran. La personne importante est celle sur l'écran. La situation qui a cours en est une de perte d'autonomie et de reprise d'autonomie; on retrouve son autonomie dans l'écran. La capture de la sortie vidéo est en fait la plus complète des documentations.
Rolf Wolfensberger © 2009 FDL