C'est avec beaucoup de chagrin que les rédacteurs en chef de
Leonardo annoncent le décès de Frank J. Malina, fondateur-directeur de
Leonardo, à la suite d'une crise cardiaque survenue le 9 novembre 1981, à son domicile de Boulogne-sur-Seine, en banlieue de Paris, France.
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Rare combinaison de scientifique, d'artiste, d'éditeur et d'humaniste, Frank Malina jouissait d'une notoriété mondiale pour son travail précurseur dans le développement des fusées, sa contribution innovatrice à l'art cinétique, la création et la diffusion de la revue
Leonardo ainsi que ses efforts soutenus tout au long de sa vie pour favoriser la coopération internationale dans les domaines de la science, de la technologie et des arts visuels.
Né en 1912 à Brenham, au Texas (États-Unis), Frank J. Malina obtient en 1934 un baccalauréat en science, spécialisé en ingénierie mécanique, de la Texas Agricultural and Mechanical University. Durant les années trente, il commence à s'intéresser à l'ingénierie des fusées, à l'époque où l'on qualifiait la fuséologie et les voyages dans l'espace de « rêves de science-fiction ». Il reçoit un doctorat en aéronautique du California Institute of Technology (Cal Tech) en 1940 pour une thèse portant sur la propulsion et la trajectoire des fusées. En 1944, il fonde conjointement avec Théodore von Kármán, célèbre ingénieur en aéronautique, le Jet Propulsion Laboratory (Pasadena, Californie) dont il sera le premier directeur de 1944 à 1946. Il conçoit et dirige les plans, la construction et le vol d'essai de la première fusée américaine de haute altitude à connaître un succès, le WAC Corporal (White Sands, Nouveau-Mexique, 1944-1945). De 1947 à 1953, il travaille à l'UNESCO, à Paris, à titre de conseiller et chef de la Division de recherche scientifique. Jusqu'à la fin de sa vie, il demeure membre actif de la Fédération internationale d'astronautique et de l'Académie internationale d'astronautique, deux organismes qu'il a contribué à mettre sur pied. Il est élu vice-président de l'Académie internationale d'astronautique en 1960, et président en 1963. Il dessine alors un plan pour un « laboratoire lunaire international » où des astronautes, scientifiques et technologues de différents pays pourraient travailler ensemble dans l'espace à des fins pacifiques. En 1939, on lui décerne le Prix d'astronautique REP Hirsh; en 1948, le prix C.M. Hickman de la American Rocket Society; en 1962, l'Ordre du mérite de la Société française pour l'encouragement de la recherche et de l'invention.
À partir de 1953, Frank J. Malina consacre toutes ses énergies aux arts visuels, bien qu'il n'ait jamais abandonné la pratique du dessin et du croquis comme passe-temps depuis son enfance et son adolescence. Il est aujourd'hui reconnu mondialement comme l'un des grands pionniers de la lumière et du mouvement en art. Dans un article intitulé « Electric Light as a Medium in the Visual Fine Arts: A Memoir » [La lumière électrique comme médium dans les arts visuels : une étude],
Leonardo 8, 109 (1975), il décrit les débuts de l'utilisation de lumières électriques dans son travail artistique en 1954 et l'introduction du mouvement dans ses peintures cinétiques en 1955. La première exposition de peintures cinétiques a lieu en 1955 lorsque Malina présente ses œuvres à la Galerie Colette Allendy à Paris. Son art cinétique se divise en quatre classifications majeures : 1) son
Lumidyne System (qui utilise une lumière électrique brillant au travers d'éléments peints, mobiles et statiques, quelquefois avec l'ajout d'un écran diffuseur); 2) son
Reflectodyne System (qui utilise une lumière électrique réfléchie sur des miroirs en mouvement ou sur d'autres surfaces réfléchissant la lumière); 3) son
Polaridyne System (qui utilise les effets optiques particuliers produits par une lumière traversant des matériaux polarisants); 4) son
Audio-Kinetic System (des peintures et des sculptures incorporant lumière et mouvement, et activées par différentes intensités sonores). On trouvera une description détaillée du
Lumidyne System, conçu en 1956, dans l'article de Frank J. Malina « Kinetic Painting: The Lumidyne System », Leonardo 1, 25 (1968). Les articles susmentionnés ont également été publiés dans le livre
Kinetic Art: Theory and Practice. Selections from the Journal Leonardo, F. J. Malina, édit. (New York: Dover, 1974).
Tous ces systèmes utilisent la lumière électrique pour créer des compositions incorporant lumière et formes colorées en un mouvement continu. Les sujets de l'art cinétique de Malina expriment les « nouveaux paysages » de la science et de la technologie, surtout de l'espace extraterrestre, comme en fait foi le titre de quelques-unes de ses œuvres :
Orbit IV, Expanding Universe, Stairways to the Stars, Nebulae II, Heartbeat of a Frog, Ursa Major, Polaris. En puisant ses thèmes dans le monde de la science, Malina essaie d'attirer l'attention sur l'interaction entre la science et l'art à notre époque. À ses yeux, le mouvement est « un fait, un aspect de la vie moderne et ce serait s'attacher les mains dans le dos que de se priver de cet élément important en arts visuels ». La science, disait-il, nous offre une nouvelle vision de l'univers, mais il revient à l'artiste de traduire cette vision en termes esthétiques, rythmiques.
En 1965, Frank Malina conçoit une murale cinétique,
The Cosmos, mesurant 2,5 x 3 m, pour le Pergamon Press Building à Oxford, en Angleterre. « Étant donné les premiers pas de l'homme dans l'exploration de l'espace extraterrestre », écrit-il au moment de l'installation en 1966, « nous vivons à une époque où nous sommes plus conscients, intellectuellement et visuellement, de l'univers qu'à aucun autre moment depuis la révolution copernicienne qui a détrôné la Terre du centre du cosmos. Les galaxies, les nébuleuses, les étoiles, les planètes et les lunes que nous pouvons voir… constituent un univers qui nous semble un panorama silencieux, presque statique. Il n'est pas statique comme nous le savons… Il y a des tempêtes turbulentes sur la surface du Soleil, des comètes qui traversent le vide et d'autres mouvements de matière aux confins de l'espace… La murale peut être perçue comme l'expression d'un cosmos "paisible", non que l'univers le soit toujours, en réalité. Des événements aux proportions cataclysmiques se produisent constamment. N'empêche, l'homme - cette fragile créature de la Terre - ose s'aventurer de plus en plus loin de son berceau planétaire. À son tour, l'artiste est invité à trouver une signification esthétique à ces expériences ou à s'en moquer, par désespoir. »
Les œuvres d'art de Malina ont été exposées dans nombre de galeries, salons artistiques et expositions de par le monde. On compte plus de 25 expositions personnelles. On trouve ses œuvres dans les musées et les collections de premier plan, notamment au Musée d'art national (Paris), au Centre national d'art contemporain (Paris), au Musée de la ville de Paris, dans des musées à Lyon (France), et Krefeld (Allemagne), au Smithsonian Institution (Washington, D.C.), à l'UNESCO (Paris), à la Galerie nationale (Prague), au Palace of Arts and Science (San Francisco). Le ministère de l'Éducation de France a produit en 1968 un film couleur intitulé
La peinture cinétique de Frank J. Malina.
En 1968, Malina fonde
Leonardo, une publication trimestrielle. Il jugeait important que les artistes écrivent sur leur propre travail et soient publiés dans la revue, comme le font les universitaires et les professionnels dans d'autres disciplines. Malina estimait également que les artistes devaient disposer d'articles accessibles, rédigés par des experts de leur champ d'activité et portant sur des développements pertinents dans d'autres domaines (esthétique, philosophie, science, technologie, éducation). Malina a participé de façon active aux discussions à propos des relations et des interactions entre l'art et les autres disciplines. Voici quelques titres d'articles qu'il a publiés dans
Leonardo : « Différences entre la science et l'art : Quelques réflexions », 1, 449 (1968); « On the Visual Fine Arts in the Space Age » [Des arts visuels à l'ère spatiale], 3, 323 (1970); « Comments on Visual Art Produced by Digital Computers » [Commentaires sur l'art visuel produit par ordinateur numérique], 4, 263 (1971); « A Conversation on Concrete Music and Kinetic Art » [Une conversation à propos de la musique concrète et de l'art cinétique], 5, 253 (1972). « Comments on Visual Art Produced by Digital Computers » a également été publié dans
Visual Art, Mathematics and Computers, Selections from the Journal Leonardo, F. J. Malina, édit. (Oxford: Pergamon Press, 1979).
Ceux et celles qui ont eu la chance de connaître Frank J. Malina, ou de travailler avec lui dans un contexte professionnel, chérissaient leur amitié avec cet homme modeste et sans prétentions, dont toute la vie a été guidée par son respect pour l'humanité entière, sans distinction de race, de religion ou de condition sociale. Il avait une confiance inébranlable en la nature humaine et l'assurance que la coopération et l'entente internationales représentaient les meilleurs moyens d'établir une paix durable. Durant les quarante dernières années de sa vie, il s'est employé sans relâche à promouvoir ces idéaux de toutes les façons possibles en science et en arts visuels. Ce grand humaniste était vraiment un homme du monde.
Les rédacteurs en chef désirent offrir leurs sincères condoléances à la famille de Frank Malina, à son épouse Marjorie Duckworth Malina et à leurs fils, Roger F. Malina, astronome à l'emploi du Space Sciences Laboratory, à la University of California (Berkeley), et Alan J. Malina, ingénieur civil et mécanicien, à l'emploi de la U.S. Agency for International Development (AID) en Guinée-Bissau.