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Rafael Lozano-Hemmer

(Montréal, Québec, Canada)

Rafael Lozano-Hemmer, Vectorial Elevation, Relational Architecture 4, 1999-2002
Rafael Lozano-Hemmer, Vectorial Elevation, Relational Architecture 4, 1999-2002 (video)
Rafael Lozano-Hemmer, Vectorial Elevation, Relational Architecture 4, 1999-2002 (video) Rafael Lozano-Hemmer, Vectorial Elevation, Relational Architecture 4, 1999-2002
Rafael Lozano-Hemmer, Body Movies, Relational Architecture 6, 2000 (video)
Rafael Lozano-Hemmer, Body Movies, Relational Architecture 6, 2000 (video)
« Je veux concevoir des anti-monuments. » (1)

Détenteur en 1989 d’un baccalauréat en sciences (chimie physique, avec mineure en histoire de l’art) de l’université Concordia, à Montréal au Canada, Rafael Lozano-Hemmer a vite développé une pratique en arts électroniques. Bien connu pour ses installations interactives d’envergure occupant un espace public, il a participé depuis 1990 à nombre d’événements importants, récemment à la biennale d’Istanbul (2001) en Turquie, à la biennale de la Havane (2000) à Cuba, au festival Ars Electronica (2002) à Linz en Autriche. Parmi les nombreux prix ou distinctions accumulés au fil de sa carrière, mentionnons le Prix Ars Electronica Golden Nica en Autriche, attribué en 2000 pour Vectorial Elevation. Ses textes ont été publiés dans plusieurs magazines tels Leonardo (États-Unis), Kunstforum (Allemagne), Archis (Pays-Bas). Il a également donné des conférences et des ateliers, notamment au MediaLab du Massachusetts Institute of Technology, au Guggenheim Museum, au Netherlands Architecture Institute, à la Transmediale de Berlin et à l’Art Institute of Chicago. (2)

Le nom et la pratique de Lozano-Hemmer sont désormais associés au concept d’« architecture relationnelle ». Élaboré par l’artiste, il traduit son désir de créer des expériences sociales où performances et rencontres sont au rendez-vous en transformant l’interprétation d’une architecture urbaine grâce à l’intervention des technologies. Il souligne que l’emploi de l’adjectif « relationnelle » vise à éviter celui, déjà galvaudé, d’« interactive ». Il ajoute également ne pas réclamer la paternité du terme, puisqu’il est utilisé depuis les années 1960 à propos des bases de données relationnelles et que les artistes brésiliens Lygia Clark et Hélio Oiticica, toujours dans les années 1960, s’en servaient pour décrire leurs installations et leurs objets activés et manipulés par les utilisateurs.

Vectorial Elevation, la quatrième de la série Relational Architecture, est sans doute l’installation télérobotique la plus connue de Lozano-Hemmer. En mars 1998, le président du Conseil national pour la culture et les arts du Mexique l’invite à concevoir un projet d’architecture relationnelle dans le cadre des festivités entourant l’arrivée de l’an 2000 à Mexico. Parmi les différentes lignes directrices que le projet devait respecter se trouve le choix du lieu où se déroulera l’événement : la place Zócalo. De prestigieux édifices, symboles du pouvoir et remplis d’histoire, encerclent cette place : la Cathédrale métropolitaine, la Cour suprême de justice, le Palais national, et des hôtels de luxe. En outre, sous la place se trouvent des ruines aztèques. Une des plus grandes places au monde, elle peut accueillir plus de 200 000 personnes.

Vectorial Elevation avait deux sites distincts : la place Zócalo et un site Web, ce qui représente déjà une rencontre étonnante et complexe entre un lieu physique et un lieu virtuel, l’un informant l’autre. Autour de la place, 18 projecteurs au xénon de 7000 watts, disposés sur les toits de différents édifices, projetaient des faisceaux lumineux visibles à plus de quinze kilomètres. Et ce sont les internautes visitant le site Web qui concevaient les immenses sculptures lumineuses se déployant dans le ciel de 18 h à 6 h, du 26 décembre 1999 au 7 janvier 2000. Projet d’art public et collectif s’il en est, 800 000 personnes sur quatre continents y ont contribué.

À l'inverse du contexte de la plupart des autres projets de Lozano-Hemmer, le public venu contempler les sculptures était passif, réduit à un rôle de spectateur, alors que les internautes, les véritables acteurs de cet événement, étaient actifs. Le néologisme télécréation conviendrait ici. Le site Web affichait une simulation 3D de la place Zócalo et une interface permettant aux participants de concevoir un plan de chorégraphie lumineuse et de le visualiser selon différentes perspectives. Lorsque le plan était envoyé par un participant au centre de contrôle à Mexico, il était numéroté et attendait son tour. Toutes les six secondes, les projecteurs changeaient de position et la nouvelle configuration était filmée par trois webcams afin de rendre l’événement en direct. Une page Web d’archives était créée pour chaque participant, comprenant son nom, son lieu de résidence, des commentaires, ainsi que la date et l’heure de l’exécution de son plan. Aussitôt qu’un plan était effectué, le participant recevait un courriel avec l’adresse URL de sa page personnalisée. (3)

Cette installation événementielle répond bien à ce que David E. Nye a qualifié de « sublime technologique » (4). Prolongeant le concept kantien du sublime, l’auteur en complexifie la teneur, puisqu’il ne peut plus s’appliquer seulement à la Nature et doit prendre en compte les développements technologiques. Quoi qu’il en soit, l’expérience demeure la même : l’humilité et la petitesse de l’humain face à l’immensité, la grandeur, la démesure. Cependant, l’utilisation de ces projecteurs ne va pas sans évoquer les images célèbres des célébrations orchestrées par Albert Speer pour le régime nazi, surtout le « Dôme de Lumière » créé lors du congrès du parti nazi à Nuremberg en 1935. Plus près de nous, nombre de compagnies ou de grandes entreprises en font usage à des fins publicitaires. Tout comme les spectacles rock, les raves... Conscient de toutes ces connotations, Lozano-Hemmer a su les détourner, en subvertir l’emploi généralement militaire ou commercial, en offrant au public la possibilité non seulement de les utiliser, mais de les utiliser pour créer une œuvre d’art partagée. Par ailleurs, ce projet s’inscrit bien dans la tradition du Sky Art, ce courant artistique lancé par Otto Piene dans les années soixante.

L’installation Body Movies, la sixième de la série Relational Architecture, a été présentée pour la première fois au carré Schouwburgplein, au cœur de Rotterdam, du 31 août au 23 septembre 2001. Ombres chinoises et théâtre de marionnettes s’imposent immédiatement comme références visuelles. Le dispositif est étonnant de simplicité, malgré la technologie qu’il recèle : plus d’un millier de portraits captés sur les rues de Rotterdam, Madrid, Mexico et Montréal sont projetés, à partir de deux tours, sur la façade de 90 x 22 mètres du cinéma Pathé. Au sol, deux projecteurs au xénon de 7000 watts projettent une lumière intense sur les portraits démesurés qui disparaissent, éblouis, mais qui refont surface lorsque les badauds bloquent les projecteurs sur leur passage, révélant les portraits par et dans leurs ombres projetées. Lorsque les ombres des badauds devenus participants se superposent sur la totalité des portraits, ceux-ci disparaissent complètement, créant une sorte de suspense, pour être remplacés par une nouvelle série de portraits. Tout se fait et se défait avec une certaine rapidité. Rien de figé, toujours en devenir, tout à fait un anti-monument : pour l’artiste, le terme réfère à une action, à une performance. Le contraire, justement, du monument toujours conçu d’un point de vue élitiste comme emblème du pouvoir. Tout le monde est conscient de l’artificialité de l’anti-monument. L’anti-monument est une solution de rechange au fétichisme du site, au fétichisme de la représentation du pouvoir. (5) Et on aura déjà compris que Vectorial Elevation est un anti-monument par excellence.

Cet anti-monument, qu’offre-t-il? Dans la bande vidéo documentant l’installation à Rotterdam, on assiste à quantité de scènes loufoques dans une atmosphère carnavalesque digne de Rabelais. Mais aussi à des scènes troublantes où deux identités se (con)fondent l’une dans l’autre, l’une empruntant l’autre, l’espace d’un moment. Des interactions, des relations s’établissent furtivement. Comme si l’installation offrait la possibilité d’un transfert d’identité. Certains participants ne s’intéressent même pas aux portraits, préférant se mettre en scène eux-mêmes, de façon discrète ou grossière. D’où la générosité de l’installation qui laisse aux participants le soin de choisir eux-mêmes leur rôle, de décider du mode d’intervention avec ce qui leur est offert. Il est intéressant de constater que les participants privilégient les ombres projetées dans la perspective du théâtre de marionnettes. L’occasion est belle pour se défouler, donner libre cours à son imagination. Mais comme le disait l’artiste en conférence (6), la réaction des participants n’est pas toujours en accord avec les attentes présumées, car le contexte culturel de la ville où l’installation est présentée joue pour beaucoup dans la réception de l’œuvre. Quoi qu’il en soit, Body Movies et Vectorial Elevation répondent de façon magistrale au souhait de l’artiste, qui s’intéresse principalement à « la création, la perception et l’occupation d’un espace public » (7). Et nul doute, à ses yeux, l’occupation d’un espace public nécessite une participation active favorisant la rencontre. C’est un lieu commun de dire que l’œuvre d’art a besoin d’un public. Dans la pratique de Lozano-Hemmer, sans public, il n’y a même pas d’œuvre.

Subtitled Public (2005) a été exposé au Musée des beaux-arts de Montréal à l'automne 2007 dans le cadre de l'exposition e-art : Nouvelles technologies et art contemporain, dix ans d’action de la fondation Daniel Langlois.

Jacques Perron © 2003 rev. 2009 FDL

(1) Lozano-Hemmer, Rafael. « Alien Relationships with Public Space », TransUrbanism, Rotterdam, V2_Publishing/NAI Publishers, 2002. p. 155.

(2) Pour plus d’information : http://www.lozano-hemmer.com/bio.php

(3) Lozano-Hemmer, Rafael. « Introduction », Vectorial Elevation, Mexico, Conaculta, 2000, p. 35.

(4) Nye, David E. American Technological Sublime, Cambridge, MIT Press, 1994.

(5) Lozano-Hemmer, Rafael. « Alien Relationships with Public Space », TransUrbanism, Rotterdam, V2_Publishing/NAI Publishers, 2002. p. 155.

(6) Conférence tenue le 13 octobre 2003 à la Société des arts technologiques (SAT), Montréal, Canada; dans le cadre du Festival international du nouveau Cinéma et des nouveaux Médias de Montréal (FCMM).

(7) Lozano-Hemmer, Rafael. « Alien Relationships with Public Space », TransUrbanism, Rotterdam, V2_Publishing/NAI Publishers, 2002. p. 148.