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Chris Csikszentmihályi

Edgy Products

Chris Csikszentmihályi, Afghan Explorer, 2001
Chris Csikszentmihályi, Afghan Explorer, 2001 Chris Csikszentmihályi, DJ I Robot, 2001
Depuis une dizaine d’années, Chris Csikszentmihályi développe de nouvelles technologies à des fins d’intervention politique activiste, en utilisant les moyens propres à l’art et à la technologie. Les dispositifs qu’il conçoit opèrent sur deux plans : ils effectuent un travail réel (calculer, détecter, agir) tout en étant dotés d’un pouvoir symbolique. Autrement dit, ils relèvent de notre culture de consommation électronique et technologique, mais peuvent également prendre place dans le discours et les règles propres à l’art contemporain. Csikszentmihályi soutient qu’il est difficile, en tant qu’artiste, d’explorer le rôle des technologies fonctionnelles en tant que produits artistiques; mais, il est presque impossible, à moins d’être un artiste, de développer des « produits » échappant aux impératifs régissant le marché commercial, la défense ou les discours scientifiques. Et cette situation paradoxale est d’autant plus complexe que sa propre position en tant que professeur associé au Media Lab du Massachusetts Institute of Technology (MIT) n’est pas de tout repos. En effet, le privilège de travailler au sein d’une des plus prestigieuses institutions en ce qui concerne la recherche de pointe en technologies représente une arme à double tranchant : l’accès aux ressources technologiques les plus performantes et, justement pour avoir accès à ces ressources, il doit présenter ses projets à visée antimilitariste devant des militaires du département de la défense américaine qui finance une partie des recherches effectuées au MIT!

Prenant appui sur Design Noir, (1) l’artiste-technologue souligne le rapport entre le design d’un produit destiné au plus grand nombre et le cinéma hollywoodien. Les auteurs spéculent sur la possibilité de trouver d’autres modes de communication par l’intermédiaire d’un produit en utilisant comme analogie le film noir, le cinéma du tiers monde, et les films expérimentaux ou documentaires. Selon Csikszentmihályi, sa pratique relève de ces stratégies en produisant des dispositifs qui « violent le style, les motifs et les genres de la production technique matérielle » (2). C’est dire que nous avons ici affaire à des stratégies de brouillage de codes qui, tout en prenant modèle sur des objets ou dispositifs déjà existants, en détournent néanmoins le sens et la fonction. En témoignent le DJ I Robot (2001) et l’Afghan Reporter (2001), largement commentés dans la presse.

Dans la foulée de certains de ses précédents travaux, et faisant preuve d’une créativité féconde, Csikszentmihályi se propose maintenant de produire les Edgy Products, trois prototypes à la frontière de l’art et de la technologie. Ces systèmes au code ouvert visent explicitement une forme d’activisme social, l’artiste ne cherchant pas à commercialiser ces objets. Il s’agit plutôt de démontrer un éventail de possibilités lorsque la science et l’ingénierie s’associent à un programme politique libéral. Nul doute, l’artiste-technologue croit fermement en la pertinence de ces dispositifs comme outils de transformation sociale. Ils sont conçus de façon à pouvoir agir : enregistrer, témoigner, décider. Ils sont aussi l’équivalent des drones, en ce sens qu’ils ne sont pas pilotés par des êtres humains — unmanned aerial vehicles (UAV).

Par exemple, le premier projet consiste en une critique pro-active des caméras de surveillance dont l’usage abusif dans les espaces publics frôle et dépasse souvent la légalité. Pour faire face à cette situation, Csikszentmihályi va mettre au point un mini hélicoptère dirigé au laser et équipé d’une petite quantité de magnésium qui a la propriété de dégager une lumière intense en brûlant. Lorsque l’hélicoptère arrive à proximité de sa « cible », la lumière aveugle la caméra, ce qui la désactive. D’autres utilisations seraient également possibles pour ce dispositif qui ne coûte que 400 $US à fabriquer.

Avec le deuxième projet, Chris se penche sur le problème des déversements de pétrole causant les marées noires à la suite d’un accident de pétrolier. Or on sait que les capitaines de pétrolier enfreignent constamment les lois visant la protection de la faune, autant en mer que sur terre. Le dispositif imaginé par Csikszentmihályi pourrait suivre le déplacement d’un pétrolier à l’aide de capteurs sonores capables de détecter le bruit des moteurs. Un bris dans le pétrolier serait immédiatement enregistré. Le détecteur de moteur est constitué du Digital Signal Processing (DSP), d’un microphone, avec la possibilité d’ajouter un modem et autres composants pour rendre le dispositif encore plus performant. Il souhaite construire trois systèmes, un pour les régions éloignées, un autre pour un environnement urbain et un troisième muni d’un hydrophone capable de suivre la trace audible d’un pétrolier.

Poursuivant l’expérience de l’Afghan Explorer, et préoccupé par une information non censurée ou désinformée, Csikszentmihályi affirme qu’il est inutile pour un reporter d’aller risquer sa vie dans un pays en état de guerre. Pourquoi ne pas envoyer un robot-reporter? Il soutient également que si les Américains étaient conscients de ce qui se passe vraiment sur un terrain de guerre, peut-être seraient-ils moins prompts à déclencher d’autres guerres. D’où la nécessité d’une information provenant du terrain même et des personnes qui vivent la guerre au quotidien. L'Afghan Explorer a joui d’un succès médiatique considérable – mission accomplie en ce qui concerne la sensibilisation de l’opinion publique aux problèmes de l’accès libre à l’information – mais n’a pas réussi à se frayer un chemin « sur le terrain ». L’artiste-technologue veut maintenant concevoir un système beaucoup plus simple, capable de prendre des photos ou des vidéos dans ces régions déchirées par la guerre. Les War documentation systems (WDS) seraient une série de petits dispositifs fabriqués avec des composants simples qui permettraient à une personne de photographier ou d’enregistrer un événement pour ensuite relâcher cette information dans l’atmosphère. Ces dispositifs pourraient voler sur une distance arbitraire, suffisamment loin pour que l’information trouve son chemin jusqu’au marché de l’information mondial. Ce système utiliserait de l’hydrogène produit par électrolyse, des bouteilles de deux litres, des ballons faits avec des sacs en plastique, des caméras jetables et des enveloppes pré-affranchies. La simplicité du système permet d’envoyer le plus rapidement possible ces objets dans les points chauds du monde afin de recueillir l’information souhaitée. Une variation de ce dispositif emploierait des cerfs-volants.

Jacques Perron © 2003 FDL

(1) Dunne, A. & Raby, F. Design Noir, Basel, CH : Birkhauser Verlag, 2001.

(2) Projet déposé à la fondation en janvier 2003.