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Peter Blasser

shinths

Peter Blasser jouant du shinths, 2003 (video)
Peter Blasser jouant du shinths, 2003 (video)
Peter Blasser, the blowing bear, 1999 Peter Blasser, the egongs, 2001 Peter Blasser, the portland chucky, 2001
La démarche de l’artiste s’inscrit dans un courant appelé circuit bending, ou la communauté des circuit benders. Avant d’expliquer le néologisme forgé par Blasser, le shinth, il importe de contextualiser sa pratique au sein de ce mouvement.

Circuit Bending : détournement de circuit; tordre, infléchir; courber, plier, fausser, gauchir. En bref, la transformation artistique de jeux électroniques pour enfants en instrument de musique. Ou encore, établir (forcer?) des connexions inattendues entre différents points de circuits électroniques et produire ainsi des sons inouïs.

Origine : le terme circuit bending a été utilisé pour la première fois à la fin des années soixante par le pionnier Reed Ghazala en référence à l’art de prendre un jouet électronique ordinaire, tel que le Speak&Spell, de la compagnie Texas Instruments, et de redistribuer les circuits pour produire un dispositif capable de créer les sons les plus étranges. Conçues à l’origine comme des jouets éducatifs pour les enfants d’âge préscolaire, ces machines utilisaient la première forme de synthèse commerciale de la voix et c’est ce qui les rendait idéales pour le détournement de circuit. Les circuits que l’on y trouve sont tellement primitifs qu’il devient possible de créer toutes sortes de boucles rétroactives et de « ratés sonores » comme vous n’en avez jamais entendu…

C’est en 1967 que Ghazala crée, par accident, le premier instrument « détourné »; jeune adolescent fauché, musicien, artiste visuel, il cherchait des façons d’explorer des réalités insolites à une époque en pleine effervescence expérimentale. Ironie de l’histoire, ses instruments se trouvent aujourd’hui dans les collections permanentes des plus prestigieux musées : le Museum of Modern Art (New York), le Guggenheim Museum (New York), le Whitney Museum of American Art (New York) ainsi que dans plusieurs collections privées de par le monde. (1)

Inventer de la musique de façon inusitée est une chose; détourner de ses fins un objet commercialisé, et donc protégé par la loi, en est une autre. Cette attitude subversive est résolument assumée par les circuit benders comme étant anti-capitaliste. Qu’on en juge : les circuit benders vont glaner dans les magasins de seconde main et trouvent leurs proies ou leurs cibles potentielles sous la forme de vieux jouets, d’objets courants tels que des pièces d’ordinateurs obsolètes, etc. Ils récupèrent, recyclent, inventent avec des débris.

Cette façon de faire tient du paradoxe : composer de la musique avec des jouets qui n’ont manifestement pas été conçus pour en faire. Et c’est précisément dans cet hiatus que réside la singularité de la démarche. Mais toute singulière qu’elle est, elle n’est pas sans partager certaines affinités avec différents mouvements artistiques du XXe siècle. Sans chercher à établir une filiation, il peut être intéressant, et même pertinent, de signaler l’importance cruciale de la notion de détournement dans l’art moderne et contemporain, utilisée de façon féconde, entre autres, par Duchamp, Fluxus, les Nouveaux Réalistes, le process art des années 1960-1970 et nombre d’artistes durant les années 1970-1980 qui s’appropriaient des images déjà existantes, issues des médias de masse. Plus près de nous, on pourrait également présumer qu’il existe une sympathie entre les circuit benders, les pirates informatiques (hackers) et les partisans du code source ouvert. Finalement, mentionnons l’influence des circuit benders dans le milieu de la musique expérimentale, industrielle, techno et ambiante. En effet, plusieurs musiciens utilisent les instruments « détournés » de Ghazala en studio d’enregistrement ou lors de concerts.

« The shinth does nothing. I want to make it. » Peter Blasser

Revenons maintenant à la pratique de Peter Blasser. Le projet soutenu par la fondation comporte deux volets : concevoir une série d’instruments électroniques susceptibles d’intéresser les circuit benders et organiser une exposition itinérante permettant à ceux-ci d’expérimenter avec ces instruments. Dans le but d’offrir un forum pour échanger des idées et un lieu de rassemblement pour divers musiciens.

Le shinth est un néologisme forgé par l’artiste pour décrire un type de dispositif électronique qui ne montre ni n’offre aucun contrôle mécanique de son processus. Le shinth est un instrument de musique dépouillé de sa surface extérieure, son enveloppe protectrice, révélant ainsi la carte de circuits imprimés. Plutôt que d’appuyer sur des touches ou de tourner des boutons, l’utilisateur de cet instrument produit des sons en intervenant directement sur les circuits imprimés. Pour Blasser, il importe de montrer, d‘exposer la surface intérieure, soit les circuits imprimés dans leur nudité. Il y aurait adéquation entre la forme et le contenu. De toute évidence, les circuit benders remettent en question la pertinence de l’enveloppe extérieure des instruments électroniques commerciaux qui, soi-disant, protège l’utilisateur de la possibilité d’un choc électrique. Mais le seul danger possible avec les shinths, selon Blasser, n’est pas de recevoir un choc, mais bien de saturer des endroits sensibles de l’instrument avec un courant électrique trop élevé.

Poursuivant sa réflexion, l’artiste remarque également que la même situation existe en musique acoustique. En effet, le violoniste touche les cordes de son instrument afin de produire des sons. Il y aurait analogie entre les cordes du violon et les circuits imprimés, car les deux sont visibles, extérieurs. Il soutient de façon probante que le violoniste est donc aussi, à sa manière, un bender!

Blasser tient à ce que ses shinths soient « tordus » par des performeurs, d'où la pertinence d'une exposition-performance. En novembre et décembre 2003, accompagné de Fashion Flesh et Twig Harper, l'artiste-commissaire a sillonné les États-Unis, présentant des performances dans divers lieux (galeries, cafés, centres d'art). Intuitifs, ne nécessitant aucun apprentissage, les shinths sont à la portée de quiconque désire explorer leur potentiel sonore. Les spectateurs étaient donc invités, après la performance, à donner libre court à leur imagination en manipulant ces objets singuliers. Dans une section de son site Web, Blasser raconte certains moments de la tournée et l'on peut voir et entendre non seulement Blasser et les musiciens, mais aussi des spectateurs - soudainement performeurs - jouant avec les shinths. (2) Dans le prolongement de ce projet, Blasser a également conçu et fabriqué d'autres instruments sonores. (3)

Jacques Perron © 2003 FDL