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Usman Haque

Sky Ear

Usman Haque, Sky Ear, 2004 (video)
Usman Haque, Sky Ear, 2004 (video)
Usman Haque, Sky Ear, 2004 Usman Haque, Sky Ear, 2004 Usman Haque, Sky Ear, 2004
« Pourquoi n'y a-t-il pas d'art dans l'espace, pourquoi n'a-t-on pas d'expositions dans le ciel? Jusqu'à maintenant, nous avons laissé la guerre illuminer le ciel... » Otto Piene (1)

Usman Haque semble vouloir répondre à cette question avec son projet Sky Ear en occupant temporairement le ciel avec une installation axée sur la réception et la transformation des ondes électromagnétiques en signaux lumineux. Il s'agit pour l'artiste de rendre manifestes nos interactions avec ce territoire normalement invisible en proposant un événement qui permet à un large public non seulement de voir et d'entendre les ondes électromagnétiques mais aussi d'interagir avec elles. Selon lui, très peu d'œuvres d'art utilisant l'espace hertzien comme concept dans le champ social ont vu le jour.

Mais pour bien comprendre ce qui l'intéresse dans sa pratique - et plus particulièrement dans ce projet - il faut introduire les outils conceptuels avec lesquels il travaille : le « hardspace » (espace dur) et le « softspace » (espace doux). Si l'architecture a traditionnellement été comprise comme relevant de la production d'objets statiques et physiques qui façonnent notre environnement et nous enferment dans ses murs, ses plafonds et ses planchers, Usman Haque s'intéresse plutôt à ce qui est non tangible et non physique : les sons, les odeurs, la chaleur, les couleurs et, avec ce nouveau projet, les ondes radio. Il utilise la technologie afin de provoquer des interactions entre les individus, et entre ces individus et leurs environnements. Le softspace encourage les gens à devenir des performeurs à l'intérieur de leur environnement, tandis que le hardspace offre un cadre pour animer ces interactions.

Nous savons que nous vivons dans un monde traversé par les ondes électromagnétiques (ondes radio, ondes électriques, micro-ondes, etc). Projet d'installation temporaire, Sky Ear est un « nuage » à l'écoute des radiations électromagnétiques, une structure de 25 mètres de diamètre en fibre de carbone avec un filet contenant 1000 ballons soufflés à l'hélium, retenue au sol par six câbles. Pendant l'événement, le « nuage » flotte pour quelques heures à une hauteur de 60 à 100 mètres au-dessus du sol. Chaque ballon est muni d'un capteur détectant différents niveaux de radiations électromagnétiques selon une variété de fréquences et de six diodes électroluminescentes (LED) capables de générer des millions de couleurs. Les capteurs, activés par les ondes, activent à leur tour les diodes.

Le projet Sky Ear fait également appel à la notion de performance. Prenant avantage d'une des interactions les plus familières avec l'espace hertzien - faire un appel téléphonique - le public est invité à participer à l'événement. Plusieurs téléphones cellulaires sont insérés dans les ballons et, en composant un numéro, les spectateurs peuvent entendre les sons électromagnétiques dans le ciel. Ces appels téléphoniques causent également des perturbations locales dans le champ électromagnétique qui sont détectées par le nuage. Une rétroaction dans le circuit des capteurs crée des ondulations de lumière semblables à un tonnerre grondant. Afin d'atteindre le plus large public possible, Haque envisage de rendre l'événement accessible en temps réel par l'entremise d'Internet. Cette dimension de participation active est fondamentale pour l'artiste, visant à questionner la distinction entre l'activité du performeur-artiste et la passivité du public et brouillant encore plus le statut de l'œuvre : installation, sculpture, performance, projet d'art public, Sky Art , etc.

Conjuguant habilement art, science et technologie, ce projet a nécessité une recherche dans plusieurs directions à la fois : comment détecter les ondes électromagnétiques, faire flotter le nuage, concevoir une structure modulaire, trouver les permissions nécessaires pour le lancement du nuage, sélectionner le lieu approprié, s'assurer de la santé et de la sécurité des participants, élaborer la logistique de l'événement, etc. Les différents registres couverts par ces questions témoignent de l'intérêt interdisciplinaire du projet.

Haque signale comme sources d'inspiration les individus qui voyagent dans des régions éloignées pour écouter les sons générés par les champs électromagnétiques naturels de la planète, les mordus qui syntonisent des orages avec leur radio AM, et ceux qui vont admirer la magie des aurores boréales. Comme précédents artistiques, il mentionne Skyline de Hans Haacke, en 1967, une ligne de ballons à l'hélium flottant dans le ciel; Silver Clouds de Warhol, en 1966, un environnement d'oreillers aux reflets métalliques dérivant tranquillement dans l'espace de la galerie; et Panamarenko, qui a profondément exploré l'idée des machines volantes et la dramaturgie du vol dans ses œuvres. En outre, ne pourrait-on pas évoquer « les merveilleux nuages » de Baudelaire, pointant ainsi vers l'esthétique romantique du sublime? En effet, qui pourrait soutenir que les technologies ont complètement effacé cette dimension - ou cet affect - artistique encore perceptible et lisible dans nombre d'œuvres d'art contemporain, notamment dans le Land Art des années 1960 et 1970?

L'électromagnétisme exerce depuis longtemps une fascination chez les scientifiques et les artistes. On n'a qu'à penser à Mesmer, précurseur de Charcot, Janet et Freud. Mais aussi à Nikola Tesla, l'inventeur du système industriel électromagnétique contemporain; à Faraday, qui considérait l'électromagnétisme comme un principe universel de la vie terrestre; à Léon Theremin, l'inventeur des premiers instruments de musique électromagnétique; à Nam June Paik, à qui l'on doit la naissance de l'art vidéo; à Walter de Maria, avec son célèbre Lightning Field; la liste est longue...

Témoin de cet intérêt qui perdure, Electre et Magnete un colloque récent, tenu à Montréal en avril 2003, qui réunissait des artistes intéressés par le phénomène scientifique de l'électromagnétisme. (2)

À ces références, il importe d'ajouter les travaux de Otto Piene qui a inventé le terme Sky Art dans les années soixante. Son premier projet public, présenté au Center for Advanced Visual Research (CAVS) du Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 1968 et intitulé Light Line Experiment, faisait appel à vingt participants, environ 1000 tubes de polythène gonflés à l'hélium, et deux projecteurs. Piene qualifiait le projet d'« événement céleste ». Selon ce pionnier de l'art dans l'espace, le Sky Art veut donner une image positive d'un monde - et d'un ciel - où prolifèrent les instruments de guerre. Preuve de l'importance des travaux de Piene : la tenue annuelle d'une conférence sur le Sky Art.

Ces considérations recoupent certains objectifs au coeur du projet de Usman Haque : voir et concevoir le ciel comme un espace créatif et ce, d'autant plus que cette créativité n'est plus perçue comme étant l'apanage des artistes mais bien comme une ressource commune à partager. Dans ce sens, ce qui anime sa pratique, c'est bien l'accent résolument mis sur le performatif (le softspace) plutôt que sur l'installation-objet (le hardspace).

Après une série de vols d'essai, Sky Ear s'est envolé pour la première fois le 4 juillet 2004 à Fribourg, en Suisse, lors du Belluard Bollwerk International Festival. L'événement a par la suite été présenté le 15 septembre 2004 au National Maritime Museum, Greenwich Park, près de Londres, en Angleterre. Une version réduite de Sky Ear faisait partie de la programmation de transmediale.05 et a flotté dans le ciel de Berlin pendant une heure le 3 février 2005. Signalons finalement que Sky Ear a remporté le prix d'excellence dans la catégorie « art » au Japan Media Arts Festival en 2004.

Jacques Perron © 2005 FDL

(1) Piene, Otto. « Ways to Paradise » sous la direction de Otto Piene et Heinz Mack, ZERO, Cambridge, MIT Press, 1973; publication originale: ZERO 3 (Dusseldorf, 1961). (Traduction du rédacteur)

(2) Pour en savoir plus, lire l’excellent texte de Charles Halary sur les principaux thèmes du colloque Les rapports ondulatoires de l’électromagnétisme avec les arts, (référence du 3 février 2004) : http://www.unites.uqam.ca/tlab/textecadre11-13avril.html