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Yvonne Spielmann

Entretien avec Bill Seaman

Bill Seaman, Exchange Fields, 2000
Bill Seaman, Exchange Fields, 2000 Bill Seaman, Exchange Fields, 2000 Bill Seaman, Exchange Fields, 2000
Les champs énergétiques

Spielmann
Dans votre récente installation, Exchange Fields (Champs d’échanges) (2000), vous semblez avoir développé une autre dimension du concept de multiplicité par l’introduction d’aspects sculpturaux.

Seaman En effet, Exchange Fields ouvre une toute nouvelle voie. J’ai créé treize meubles/sculptures, chacun équipé d’un capteur. Le déplacement des différentes parties du corps d’un interactant, par exemple le coude, les mains ou les pieds, ou la disposition particulière de la tête, déclenche une danse exécutée par Regina Van Berkel, anciennement du Ballet de Francfort (Allemagne). Il y a une boucle de rétroaction dynamique entre la manière dont on comprend ou éprouve physiquement l’œuvre et comment les médias y réagissent. Pendant que je lis un texte poétique, vous entendez un texte poétique chanté qui évoque les divers rapports entre les champs d’énergie – entre les personnes et le dispositif; bref, les relations entre l’humain et l’ordinateur.

Spielmann Où vous situez-vous quand vous pensez à l’intégration physique et spatiale de l’interactant dans un environnement computationel?

Seaman L’espace virtuel en tant qu’espace d’auteur est très différent parce qu’il faut le créer à partir du pixel. Et j’essaie d’introduire mes idées esthétiques dans cet espace. On y trouve donc une chaleur particulière et une beauté, ce qui diffère grandement de notre conception historique de l’espace virtuel. Je conçois cet espace comme un continuum entre l’environnement et l’interactant.

Les propriétés comportementales

Spielmann
Pouvez-vous définir ce que vous entendez par comportement et changement des propriétés comportementales?

Seaman De plus en plus, l’ordinateur nous permet d’encoder certains comportements particuliers. La physique abstraite peut se manifester comme mouvement ou forme de comportement, mais elle peut aussi changer l’échelle ou le volume du son ou elle peut devenir quelque chose qui réagit réellement à la présence de l’interactant, par exemple par la crainte et la fuite, ou l’intérêt et la séduction. Encore une fois, il est possible de donner aux médias tout un ensemble de comportements différents. C’est un aspect. Par ailleurs, on peut imaginer qu’avec le développement de l’intelligence artificielle, l’interactant pourra dire une phrase et tout un univers-médias modifiera son ensemble de rapports en fonction de la programmation du système. Disons que je souhaite que l’ordinateur « prête l’oreille » aux jeux de mots, s’il « entend » un jeu de mots potentiel, alors il pourra construire un environnement-médias à partir des éléments basés sur ce jeu de mots. Voilà donc un concept structurant très différent du potentiel des médias.

Spielmann Je pense tout particulièrement à votre nouveau projet au titre éloquent Hybrid Invention Generator (Générateur d’inventions hybrides). Comment travaillerez-vous l’émergence de sens, la recombinaison et les propriétés comportementales dans cette nouvelle œuvre?

Seaman Avec l’idée de médias réactifs, je m’intéresse à certains genres de fonctionnalités encodées. La nouvelle œuvre, Hybrid Invention Generator, explore la fonctionnalité de différentes inventions historiques. Je suis l’auteur d’un code de conjonction où la machine, par une forme « d’intelligence réincorporée », examine une invention, puis en examine une autre et « se demande » : quel genre de fonctionnalité me faut-il pour établir un pont pratique entre ces deux inventions.

Spielmann Quelles machines combinerez-vous dans Hybrid Invention Generator?

Seaman Dans Hybrid Invention Generator, je prendrai peut-être un processus commandé par ordinateur et une machine équipée d’un rotor. L’ordinateur « se demandera » : que me faut-il pour traduire le code informatique et le faire parler au rotor pour le contrôler. L’ordinateur devra trouver ces parties et les visualisera en une nouvelle entité que l’on pourra appeler une « rotor informatique ». L’utilisateur du système pourra alors abréger ce mot au moyen d’un autre algorithme qui donnera un nouveau nom à ce dispositif hybride, comme « rototique ». Je travaille maintenant à la partie la plus difficile, car je dois définir littéralement ce qu’est la fonctionnalité et comment isoler les fonctions particulières – par exemple, une voiture est composée de 500 inventions, pas d’une seule. Je travaille à trouver la traduction pointue ou le mode de connexion. En fait, j’ai décidé d’énumérer plusieurs choix pour l’interactant et de le laisser décider par interactivité. Il pourrait s’agir de la physique d’une chose qui génère de la chaleur ou de la manière dont un code parle à un autre code pour faire fonctionner quelque chose. Je pourrais choisir quelque chose, qui traite de la largeur, et le rapetisser à une nanodimension. En fin de compte, j’ai utilisé le modèle d’une boîte noire : intrant + fonctionnalité = extrant, où l’extrant d’un dispositif doit potentiellement passer par une forme de traduction pour devenir l’intrant d’un autre dispositif. Au bout du compte, l’ensemble cherche à devenir un système universel.

Spielmann En tant qu’artiste, vous pénétrez vraiment dans la structure même de la machine. Il semble bien que l’on doive faire un pas de plus dans cette ère des machines informatiques.

Seaman On peut commencer à parler de la génétique des machines, car si l’on pense à la recombinaison poétique de mon œuvre antérieure, The World Generator, dans ma nouvelle œuvre, je fais un pas de plus en élaborant bel et bien une poétique de la fonctionnalité hybride. L’histoire des différents genres d’inventions est vaste et je m’attends à dériver plusieurs nouvelles formes de dispositifs hybrides – machines absurdes, monstres mécaniques et mécanismes amusants, ainsi que d’autres hybrides fonctionnels intéressants, par l’interaction. À mesure que les ordinateurs seront encodés afin qu’ils puissent apprendre, ils atteindront tôt ou tard une certaine forme d’autonomie. Il se peut que les ordinateurs développent quelque chose comme une conscience propre – mais ce ne sera pas avant des années. Quant au problème de l’auteur dans les nouveaux médias, on peut dire qu’il y a dans mon œuvre, Hybrid Invention Generator, une « intelligence réincorporée » qui lui permet de devenir fonctionnelle — j’investis d’ailleurs beaucoup d’énergie dans le chargement des mots clés opératoires et dans l’élaboration des « codes de conjonction » intelligents qui deviendront opératoires dans le système. En retour, une forme de fonctionnalité intelligente commandée par ordinateur dérive de cette « intelligence réincorporée ». J’explore certainement des stratégies esthétiques, mais je travaille avec elles de manière à ce que l’ordinateur puisse lui-même générer quelque chose de basée sur elles par des processus aléatoires, ou qu’un interactant puisse dériver de nouveaux dispositifs par une interaction dynamique. Nous sommes devant un nouvel horizon de relations-médias génératrices. J’essaie vraiment d’aller au niveau de la production de nouveaux programmes et de pousser le potentiel des médias. Je souhaite aussi explorer ce que notre rapport aux médias peut devenir grâce à l’interaction de ces divers genres de systèmes générateurs.

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