Veuillez patienter pendant que nous traitons votre requête
Veuillez patienter...

Jouable : art, jeu et interactivité

Jouable : art, jeu et interactivité, Genève, 2004
Jouable : art, jeu et interactivité. — Genève : Haute école d’arts appliqués; Paris : École nationale supérieure des arts décoratifs; Saint-Denis : Université Paris 8; Genève : Saint-Gervais Genève : Centre pour l'image contemporaine, 2004. — 365 p. — ISBN 2839900181. 

Jouable est un projet de recherche interdisciplinaire organisé conjointement par la Haute école d’arts appliqués (Genève), l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Paris), le Ciren, l’Université Paris 8 ainsi que le Centre pour l’image contemporaine Saint-Gervais Genève, auquel ont également participé plusieurs universités et écoles d’art du Japon. (1)

Le critère de « jouabilité » est communément utilisé en industrie pour mesurer le potentiel de modulation d’un système, la souplesse d’une interface (jeux vidéo, outils de visualisation, etc.). Par le truchement de communications universitaires et d’expositions d’œuvres, le projet Jouable présente la valeur heuristique de ce critère d’évaluation, devenu ici une notion en vue d’identifier des qualités communes aux propositions artistiques. Découlant de ces recherches, le colloque Jouable, art, jeu et interactivité se déroule le 23 et 24 avril 2004 au Centre pour l’image contemporaine Saint-Gervais Genève. Il fait suite à une série d’expositions qui permet d’actualiser les prémisses théoriques énoncées dans les communications. En 2002, la première version de l’exposition est présentée à la Haute école d’arts appliqués (Genève). En 2003 et 2004, une deuxième et une troisième version sont à l’affiche, respectivement au Centre de coopération pour les nouveaux médias (Kyoto) et à l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Paris). La publication présente conjointement les actes du colloque, et le catalogue des trois expositions.

En guise d’introduction, l’artiste et théoricien Jean-Louis Boissier, l’un des initiateurs de ce projet, tente de définir le concept de « jouabilité » tel qu’il se décline dans les pratiques artistiques exposées. Boissier précise que cette notion embrasse une caractéristique commune à des propositions très variées dans leurs formes autant que leur contenu. Ainsi, d’après l’auteur, les œuvres sous la rubrique du « jouable » partageraient leur dépendance à des règles inscrites dans leurs programmes ou proposées au spectateur sous la forme de modalités d’expériences. Boissier distingue ensuite le qualificatif ludique (qui appelle, selon lui, uniquement au divertissement), et le jeu dans une acception plus large, comme partition d’interactions entre individus ou personne-machine. Parallèlement à cette entrée en matière, dans « Jouable, pourquoi : contextes », Jérôme Baratelli (professeur à la Haute école d’arts appliqués et autre initiateur du projet) commente la genèse du volet recherche de ce projet. Dans la foulée, Baratelli évoque également le mode d’interaction des spectateurs avec les œuvres exposées qui se distingue des parcours encouragés par des expositions traditionnelles. Il considère ainsi que les propositions réunies étendent la technologie à d’autres fonctions que celles réservées par ses usages programmés dans l’industrie.

Bien que la pagination de la publication fasse enchaîner les textes selon une séquence alphabétique de noms d’auteurs, les actes du colloque se divisent en 4 rubriques thématiques dont nous respecterons le découpage dans la présente recension.

La première rubrique « Observer, analyser », réunit des contributions de théoriciens et d’historiens d’art reconnus, cherchant à définir les acceptions du concept de jeu tel qu’il infléchit les discours sur l’art. Dans « Jeux de langage, art numérique et interactivité », Jean Pierre Cometti établit un parallèle entre la notion de jeu chez Ludwig Wittgenstein et les protocoles des œuvres « interactives », dont les modalités de manifestation reposent sur des règles précises. À l’instar de Cometti, dans « Une théorie praticable de l’art », Daniel Pinkas emploie des concepts de Wittgenstein en vue de présenter une liste de conditions nécessaires pour analyser le coefficient d’art des œuvres basées sur la recherche scientifique. Dans « Le musée dilaté », Simon Lalumière met en parallèle le phénomène des vitrines de présentation des collections d’institutions muséales sur Internet et les plates-formes de diffusion d’œuvres conçues exclusivement pour le Web. À l’aide d’études de cas, Lalumière souligne que l’utilisation d’architectures virtuelles comme modèles de présentation des objets d’art sur Internet ne doit pas faire l’économie d’une tension productive entre l’information en ligne et le lieu physique représenté. Dans « To take “Play” Seriously », Hiroshi Yoshida décline les acceptions philosophiques du concept de jeu, en mettant l’accent sur le desserrement  (2) qu’il opère dans les rituels de productivité imposés par la société capitaliste nippone.

La deuxième rubrique, « Chercher, expérimenter », fait se côtoyer des textes d’artistes émergents présentant leur démarche, avec ceux de jeunes chercheurs se penchant sur des problématiques théoriques afférentes aux pratiques artistiques. Dans « L’image apprivoisée », Caroline Bernard isole certains de ses projets comme des exemples d’interfaces où des images du spectateur captées en temps réel interagissent avec un contenu préexistant. En entretien avec Jean-Louis Boissier, Atsuko Uda précise que l’interface de ses œuvres et le contenu audio-visuel sont deux éléments qu’elle conçoit souvent simultanément. Ainsi, Uda considère les modalités d’inscription du spectateur dans le dispositif au même titre que le déploiement des tranches narratives qui composent un récit. Dans la foulée de cette réflexion sur le cinéma interactif, avec « Entre jouer-in-Between Play », Gwenola Wagon commente quelques-unes de ses installations permettant au spectateur de restructurer dynamiquement un matériau filmique familier.

La troisième rubrique, « Diffuser, exposer », rassemble des contributions de commissaires d’expositions et de diffuseurs discutant des modes d’apparition (exposition, mise en espace, diffusion) des œuvres numériques. Avec « Des propositions interactives dans la culture Internet et dans l’espace public », Catherine Quéloz et Liliane Schneiter proposent de remettre à jour des notions d’esthétique pour discuter des modes opératoires d’œuvres numériques que l’on associe d’emblée à une performance technologique. Dans « Milieux d’échanges : du paradigme relationnel », Emanuele Quinz évalue les écarts entre le paradigme de l’art relationnel - tel qu’élaboré par Nicolas Bourriaud pour présenter l’œuvre comme catalyseur d’échanges interpersonnels - et l’interactivité mettant de l’avant une relation programmée entre un sujet humain et une entité technologique. Avec « Des choses différentes : création et diffusion sur Internet », Michel Sellam présente sa démarche d’artiste Web et discute des œuvres d’art conçues pour Internet, qui devraient s’expérimenter à la maison - sans la médiation des lieux d’exposition traditionnels - pour que leur coefficient critique opère réellement.

La quatrième rubrique, « Enseigner, créer », donne lieu à des réflexions sur la pratique des arts médiatiques par des artistes occupant également un rôle de pédagogue dans un établissement universitaire. Dans « De l’autre côté du miroir », Luc Courchesne fait état de l’évolution des concepts d’interaction, d’immersion et de jouabilité en commentant les modes opératoires d’œuvres à structures dialogiques qu’il élabore depuis 1990. Courchesne signale que ses nouveaux environnements panoscopiques dépassent l’immersion des premières œuvres pour proposer au spectateur de s’inscrire au sein d’un lieu recomposé fictivement par le dispositif. Comme Courchesne, dans « Machines vivantes, machines de vision, machines de mémoire », Masaki Fujihata présente ses recherches sur les modalités de nouveaux dispositifs d’affichage d’images en mouvement. Dans plusieurs projets de l’artiste, le croisement de la vidéo et des technologies de localisation géographique telles que le GPS (Global Positioning System = Système de positionnement mondial) permet la cartographie d’un territoire à la fois abstrait et matériel. Dans « This is fun! », Douglas E. Stanley applique le concept d’ingénierie inverse (reverse engineering) au contexte des jeux vidéo duquel émergent les réflexions sur la « jouabilité » proposées par la plupart des participants au colloque. Contrairement aux théoriciens qui préconisent l’opacité des dispositifs pour rejoindre cette qualité d’interaction, Stanley croit que l’utilisateur d’un jeu vidéo ne se cantonne pas à l’interface qu’on lui propose, et qu’il désire plutôt jouer directement avec la structure interne du programme (le code informatique).

La deuxième partie de la publication comprend des fiches techniques sur chacune des œuvres présentées dans les trois volets de l’exposition Jouable. La dernière partie intitulée « Documents » réunit des entretiens avec des conférenciers et des artistes participants (Donald Abad, Mariina Bakic, Jean-Louis Boissier, Luc Courchesne, Jean-Marie Géridan). Ce volet complémentaire présente également des propositions de projets (descriptions et images) de certains artistes (Mariina Bakic, Michael Sellam, Gwenola Wagon, Alexis Chazard) et une « charte » des dix concepts clefs du projet Jouable.

Vincent Bonin © 2005 FDL

(1) Information Media Center, Université SEIAN (Japon, Kyoto), Conceptual and Media Art, Kyoto University of Art (Japon, Kyoto).

(2) Mot utilisé par l’auteur et renvoyant à l’acception du jeu comme un petit espace entre des éléments mécaniques tels que des roues dentées. p. 130.