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Jennifer Gabrys

Résidus dans les archives de E.A.T.

La fin du système

Software, Information Technology: Its New Meaning for Art, 1970
« L’art est ce qui demeure lorsque tout le reste est détruit ou oublié. » (1)

Autre exposition organisée durant la même période, Software, réunit un éventail de projets qui traitent précisément des systèmes d’information et de communication à titre d’espace artistique. En fait, l’intitulé de l’exposition « software », s’emploie ici comme un terme qui s’oppose à « hardware » (matériel). L’une des installations dans l’exposition, Residual Software de Les Levine, cerne avec précision les retombées de la distinction entre logiciel et matériel. Au sujet de cette installation – un rassemblement de 31 photographies d’une exposition d’art environnemental reproduites mille fois chacune, puis déchiquetées, montées et collées avec du Jell-O, Levine écrit :

« Toutes les activités qui ne partagent pas de lien avec l’objet ou la masse physique proviennent du logiciel. Les images elles-mêmes relèvent du matériel. L’information au sujet de ces images relève du logiciel. Tout logiciel comporte ses propres résidus. Le résidu peut prendre la forme d’informations journalistiques, de peinture, de bandes magnétiques télé et autres soi-disant « médiums ». Dans bien des cas, un objet possède beaucoup moins de valeur que le logiciel relatif à cet objet. L’objet est la fin d’un système. Le logiciel est un système ouvert permanent (2). »

Ici, l’objet n’est pas qu’une fin, mais une fin reproduite à répétition. En tant que système continu, le logiciel opère à perpétuité : il n’y a donc plus de limites à sa capacité de production de résidus. Le « logiciel » fonctionne comme une dynamique économique plus vaste, un programme d’innovation, de prolifération et de désuétude; il devient le moteur alimentant la machine technologique. (Et comme l’implique davantage encore le commentaire de Burnham ci-dessus, le logiciel et l’art sont peut-être même interchangeables à ce titre.)

Dans une conférence de 1972, « The Future of Art and Technology », Klüver évoque l’étude publiée par le Club de Rome, Limits of Growth, pour discuter du rôle de l’art dans la tentative d’atténuer l’éventuel désastre environnemental et socio-économique provoqué par l’exubérance des modes de croissance. Citant l’ambitieuse productivité des artistes, Klüver conclut cependant que la rencontre de l’art et de la technologie risque aussi d’entraîner une croissance exponentielle (et inévitablement excessive). « Ainsi, le rapport a été déchiqueté », d’admonester Klüver. Si son analyse comporte plus qu’un soupçon d’ironie, de tels résultats expliquent sans doute pourquoi Klüver déclarera qu’en fin de compte le meilleur sort pour E.A.T. serait de « disparaître » (3). Un tel souhait implique qu’en étant aussi fructueux, E.A.T. subirait le même cycle de désuétude que connaissent tant d’autres secteurs de croissance, dont le succès garantit l’incontournable échec. Lors de sa chute, E.A.T. engendrerait des millions de permutations et d’expérimentations au moment même où sa manifestation originale s’achèverait. C’est l’infinie logique en boucle de l’art comme machine productrice d’idées.

En conclusion, la présente recherche vise aussi à réaliser un projet « en marge de l’art » et à poursuivre une réflexion sur les processus d’interruption, d’élimination et de décomposition technologiques du projet E.A.T. jusqu’à aujourd’hui. Ces observations sur l’autodestruction de la machine sont reliées à un projet de recherche connexe abordant la problématique des déchets électroniques, cette accumulation de matériel informatique désuet et la surinformation qui caractérise notre environnement technologique contemporain. D’autres résultats des recherches entreprises sur ce sujet se trouvent à www.jennifergabrys.net.

Jennifer Gabrys © 2004 FDL

(1) Burhnam, Jack, Great Western Salt Works: Essays on the Meaning of Post-Formalist Art, New York, George Braziller, 1974, p.46.

(2) Software, Information Technology: Its New Meaning for Art, New York, Jewish Museum, 1970, p.61.

(3) Davis, op. cit., p.139.