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Viva Paci

Ce qui reste des images du futur

Anticipations

Vivid Effects Inc, Mandala System, 1986
Vivid Effects Inc, Mandala System, 1986 Vivid Effects Inc, Mandala System, 1986 Beverly Reiser, Life on a slice, 1992
Vito Orazem, Thomas Lück, HOE-TV, 1990 (video)
Michel Gondry, Like A Rolling Stone, 1996 (video)
À l’exposition Images du Futur, le spectateur-visiteur est continuellement appelé à expérimenter ce qui se présente à lui : un véritable testeur de prototypes, d’exemplaires uniques qui précèdent l’éventuelle fabrication en série du modèle. Dans une atmosphère foraine, le spectateur-visiteur est entouré par une foule de choses hétérogènes qui constituent, pour lui, une attraction. Tout doit être essayé : le spectateur est convié à des pratiques aussi expérimentales qu’éphémères.

Beverly Reiser, Life on a slice, 1992 Emmanuel Carlier, Temps Morts, 1996 Emmanuel Carlier, Temps Morts, 1996 Vito Orazem, Thomas Lück, HOE-TV, 1990 (video) Ami Fish, Terry Maxedon, Sticks, 1993 Ami Fish, Terry Maxedon, Fruit, 1993 Ami Fish, Terry Maxedon, Tequila, 1993 Michel Gondry, Like A Rolling Stone, 1996 (video)

À Images du Futur, l’idée du futur est conjuguée au présent des années 1980 et 1990, mais ce présent cherche à se montrer dans son extrême nouveauté : communications en réseau, matériels super-conducteurs, nouveaux systèmes de captation et de création d’images et de sons, présence massive d’ordinateurs personnels, etc. Cette célébration du présent technologique s’articule selon des modes légués par un passé, celui des foires et des Expositions scientifiques/technologiques, avec le culte de l’inventeur qui est présenté comme un artiste (à visiter aussi « Exposer »). Même si les œuvres sont parfois présentées comme des prototypes « bizarres », elles sont mises en valeur comme des créations artistiques, uniques et contingentes... ce qui ne rend pas toujours service aux inventeurs à la chasse d’un brevet et d’un distributeur. C’est seulement a posteriori, aujourd’hui, que l’on peut dresser un bilan et observer quelles œuvres ont été récupérées par le marché.

C’est le cas de Mandala VR, créé en 1986 et présenté à Images du Futur en 1993. Il s’agit d’un système permettant de piloter une image sur grand écran : « a video camera to drop a player’s image into fast action games and fun virtual environments. Players control the games simply by moving around » (description du produit Mandala VR que fait, actuellement sur le site Internet, commercial, la maison The Vivid Group de Toronto). Sans prothèse ni câble, le spectateur peut interagir avec l’image projetée. The Vivid Group propose, aujourd’hui, ce système pour des campagnes publicitaires et des événements promotionnels permettant au client d’« interagir » avec le message de la compagnie. Ce dernier est l’un des rares cas, à Images du Futur, d’une œuvre qui conçoit une exploitation commerciale. Il y avait pourtant une autre œuvre présentée à Images du Futur en 1992 par Beverly et Hans Reiser, Life on Slice, dont le système était comparable à Mandala VR. Ici le spectateur est capté par des caméras et son image, projetée sur un fond d’écran : le spectateur, à partir de son emplacement bien réel, est invité à « toucher virtuellement » les figures qui composent le fond d’écran, et son image se retrouvait alors en pleine interaction avec ces figures sur la surface bidimensionnelle de l’écran de projection, le tout se modifiant en direct selon les mouvements du spectateur. Life on Slice n’a pas eu cependant le même avenir que Mandala VR, demeuré à l’état d’œuvre unique, sans débouchés industriels.

L’installation vidéo Temps morts d’Emmanuel Carlier participe d’un procédé qui a eu une bonne diffusion dans plusieurs domaines de l’image en mouvement : de l’installation vidéo, au cinéma, au vidéo-clip. L’image captée par 100 caméras photographiques placées en cercle autour de l’objet à photographier s’offre dans une sorte d’espace tridimensionnel, donnant l’impression au spectateur de pouvoir tourner autour du corps photographié, comme si l’image avait trois dimensions. Ce type de technique a connu un grand succès dans une fameuse séquence de The Matrix (1999) des frères Wachowski et a été utilisé (après les modifications normales de tout prototype) dans un excellent vidéo-clip de Michel Gondry, présenté à Images du Futur en 1996, Like A Rolling Stone, interprété par les Rolling Stones. Dans ce cas-ci :
« Presque tout le clip repose sur des images [...] [Michel Gondry] a fait une animation avec des images fixes et, pendant trois semaines, nous avons remplacé les images avec un film reconstruit. L’origine de ces effets est incertaine. On l’attribue à Tim Macmillan avec ses expérimentations de coupure temporelle (time-slice) dans les années 1980, avant qu’il fonde Time-Slice Film en 1997. Les faits suscitent une confusion, mais VFX a tenté de documenter cette technique introduite au grand public avec le vidéo clip de Gondry pour Like A Rolling Stone. » (1) (à visiter aussi « Installations-attractions » et « Résidus cinématographiques »)
D’autres œuvres, nonobstant les bonnes intentions des créateurs visionnaires, n’ont pas eu de suites de production. Une 3D Television, par Stereo Media Inc., présentée en 1992, était une télévision stéréoscopique :
« Le système média stéréoscopique est une découverte révolutionnaire qui permet de reproduire des images en trois dimensions avec la majorité des téléviseurs ordinaires. Le réalisme absolu est maintenant à la portée des téléspectateurs. Ce système qui pourrait un jour se retrouver dans tous les foyers rend déjà des grands services à la médecine, dans le secteur de l’enseignement et de la recherche. Fonctionnement du système : l’image est captée par deux caméras placées côte à côte, la distance entre les deux objectifs étant la même que celle qui sépare les deux yeux d’un être humain. Les deux images produites sont fusionnées dans un même signal qui peut alors être transmis à n’importe quel appareil de télévision. Les lunettes spéciales décodent les images confondues, l’image captée par la caméra de gauche étant transmise à l’œil gauche, et l’autre à l’œil de droit. Véritable chef-d’œuvre de la technologie moderne, ces lunettes contiennent des microcircuits qui contrôlent les lentilles électroniques à cristal liquide. Le système peut ainsi produire des images naturelles en trois dimensions » (2).
La description de ce dispositif complexe a quelque chose de rétro avec son outil pour capter des images existantes (« reproduire des images en trois dimensions avec la majorité des téléviseurs ordinaires ») et de diffusion, dans un procédé de retransmission pas tout à fait clair... (« Les deux images produites sont fusionnées dans un même signal qui peut alors être transmis à n’importe quel appareil de télévision »), se servant d’un principe élémentaire, celui de la stéréoscopie. Cette 3D Television s’apparente plutôt à une de ces machines extravagantes de Georges Méliès, comme celle de La Photographie électrique à distance (1907-1908). C’est au fond la dernière partie de la description qui fait plutôt rêver le lecteur du catalogue et le spectateur de tant de « chefs-d’œuvre de la technologie moderne », improbables curiosités du présent technologique, exposées comme tant de promesses de futur. Ces lunettes qui « contiennent des microcircuits qui contrôlent les lentilles électroniques à cristal liquide » placent ce dispositif, dans l’imaginaire du destinataire, comme un véritable objet étonnant, riche de visions du futur… Quatre ans plus tard, Brian De Palma s’est servi de ces gadgets optométristes dans Mission Impossible (1996) et, dix ans après, Steven Spielberg les a mis en scène dans son film Minority Report (2002).

La cohabitation entre art et industrie qui caractérisait Images du Futur est une fois de plus soulignée dans un autre exemple de télévision tridimensionnelle, mais qui appartient clairement, quant à elle, à l’institution de l’art et non de l’industrie. Il s’agit de la télévision holographique de Vito Orazem et Thomas Lück, HOE-TV, créée en 1990 :
« Les hologrammes de Orazem et Lück ne contiennent aucun type d’imagerie. Ils sont ce qu’on nomme techniquement des HOE (Éléments optiques holographiques). Ne présentant aucune image, ces hologrammes sont plutôt utilisés pour agir comme une lentille, un miroir ou un composant optique complexe. Les HOE sont rarement utilisés dans des œuvres d’art et encore plus rarement dans l’approche radicale et créative développée par l’équipe allemande. L’arrangement visuel principal comprend un moniteur vidéo, avec de la neige électronique ou des animations par ordinateur en noir et blanc, et un large HOE placé devant le moniteur. Plutôt qu’une ampoule halogène, le moniteur – avec ses formes changeantes, ses contrastes vibrants et ses éléments en mouvement – devient la source lumineuse pour le HOE. Ceci est soigneusement conçu pour attirer la lumière à l’intérieur et la manipuler, la déformer et la multiplier en de nombreux échos visuels, accentuant le mélange des couleurs et créant une impression générale de calme et de méditation. Le résultat est un spectacle cinématique qui mélange la linéarité temporelle de l’animation par ordinateur avec la dimension spatiale et chromatique de l’holographie. Les artistes ont créé plusieurs œuvres reposant sur ce principe. HOE-TV, par exemple, utilise seulement la "neige" du moniteur. » (3)
Tout comme le classique Jaws (Steven Spielberg, 1975), d’autres tentatives d’images stéréoscopiques, avec ou sans lunettes (à visiter aussi « Images sans soleil et avec volume : le 3D »), même si elles étaient très réussies, n’ont pas eu de suite sérielle. Phscologram (1987), conçu par Stephan Mayers et Ellen Sandor, du collectif multidisciplinaire(ART)N, de l’Illinois Institute of Technology, présenté à Images du Futur 1992, est un système pour obtenir des photographies numériques tridimensionnelles. Le mot P.H.S.C.ologram, inventé en 1983 par Ellen Sandor, fondatrice de (ART)N, est l’acronyme de photographie, holographie, sculpture et computer graphics. Dans le catalogue de 1992, on présente cette technique brevetée qui sert à :
« [...] créer des images imprimées auto stéréographiques et tridimensionnelles (vérifier dans le catalogue pour la marque du pluriel). Ces images en couleurs sont produites par un procédé numérique entièrement informatisé et éclairé par l’arrière. Contrairement aux hologrammes, les phscologrammes sont des véritables photographies informatisées en trois dimensions qui peuvent être regardées sans mouvement et sans lunettes spéciales : elles peuvent être faites à partir d’un objet réel ou invisible, et on peut en faire des agrandissements ou des réductions. [...] Les réalisations du laboratoire (ART)N nous révèlent une partie de l’avenir de la photographie en mettant en scène la plus haute qualité de technologie et de recherche existant à ce jour. L’équipe (ART)N fait des choses qui n’avaient encore été jamais faites. Sa technique de photographie virtuelle informatisée rend visible l’invisible. Les mondes qui existent au cœur des ordinateurs sont ceux où les hommes du XXIe siècle vivront, travailleront et s’amuseront. Les explorateurs des années passées ont pu documenter leurs découvertes avec la photographie; de même, le laboratoire (ART)N documente les premiers pas de l’humanité dans le monde virtuel » (4).
La description de ce dispositif, même si elle provient d’un collectif d’artistes aussi bricoleurs que technologues est influencée par une rhétorique publicitaire, sur le mode de l’utopie (« Les mondes qui existent au cœur des ordinateurs sont ceux où les hommes du XXIe siècle vivront, travailleront et s’amuseront. [...] le laboratoire (ART)N documente les premiers pas de l’humanité dans le monde virtuel »). Cette rhétorique est plus visible encore que celle de la 3D Television présentée pourtant par une compagnie commerciale, Stereo Media Inc.

En effet, la zone de passage entre art et industrie finit toujours par devenir plus mince, et les discours nous apparaissent d’autant plus ingénus dans leur tentative de conjuguer une rhétorique scientifique à une rhétorique publicitaire.

Tendance visiblement fascinante que celle de l’imaginaire photographique en trois dimensions, elle occupe une place d’honneur à Images du Futur. L’année suivante, en 1993, d’autres photographies tridimensionnelles ont été présentées. C’est le cas des photographies lenticulaires en 3D réalisées par Amy Fisch et Terry Maxedon. Le résultat obtenu avec un réseau lenticulaire existe depuis les années 1930, breveté à Paris par Maurice Bonnet. Le procédé avec lequel le réseau lenticulaire permet de voir l’image en relief comporte une couche en plastique composée d’une série de lentilles rondes ou longitudinales posées sur une photographie permettant de voir un relief immédiat (sans l’aide d’un appareil, des lunettes ou autres extensions) : les lentilles rondes, de véritables petites loupes, renvoient des images différentes à chaque œil. Mais la réussite commerciale n’était pas, cette fois, au rendez-vous.

Viva Paci © 2005 FDL

(1) Référence au site : http://www.director-file.com/gondry/

(2) Description dans le catalogue Images du futur '92, Montréal, Cité des Arts et des Nouvelles Technologies de Montréal, 1992, p. 29.

(3) Kac, Eduardo, « Beyond the spatial paradigm : time and cinematic form in holographic art », Blimp Film Magazine (Fall 1995), p. 48-57. Également disponible sur Internet : http://gewi.kfunigraz.ac.at/~blimp/full_text/kac/kac.html

(4) Images du Futur '92, op. cit., p. 37.