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Juan Geuer

(Almonte, Ontario, Canada)

Entretien avec Juan Geuer
Juan Geuer est né en 1917 dans la ville hollandaise de Soest, mais il a élu domicile dans plusieurs pays qui ont tous marqué son art, sa connaissance de la science et sa sensibilité à l'égard des perceptions humaines de l'espace et du temps. Élevé aux Pays-Bas et en Allemagne, Geuer déménage en Bolivie avec sa famille en 1939 pour fuir la guerre qui ravage l'Europe. Ses parents l'initient très jeune au vitrail et lui font découvrir le groupe De Stijl, qui influencera son travail. Durant son séjour dans la jungle bolivienne, il continue d'explorer le design et la nature en utilisant des matières premières à défaut de fournitures conventionnelles. En 1954, il immigre au Canada et commence à travailler en 1962 à l'Observatoire fédéral, qui deviendra plus tard la Direction de la physique du globe du ministère des Ressources naturelles à Ottawa. Geuer est d'abord embauché à titre de dessinateur. Au fur et à mesure de ses progrès professionnels, il commence à construire des modèles et des maquettes pour aider les scientifiques à visualiser les phénomènes géographiques. La production « d'art scientifique » à des fins pratiques nourrit les recherches artistiques de Geuer depuis 1975. (1)

L'œuvre de Geuer a fait l'objet de grandes expositions dans des musées du monde entier, tels que le Museum Boymans-van Beuningen (Rotterdam, Pays-Bas), le List Visual Art Centre du Massachusetts Institute of Technology (Cambridge, Massachusetts), la Galerie d'art d'Ottawa (Ottawa, Canada) et la Art Gallery of Ontario (Toronto, Canada). Il a également publié des articles dans des revues comme le Journal canadien des sciences de la terre et Leonardo et a donné des cours à titre de conférencier invité dans des collèges et des universités d'Europe, de Nouvelle-Zélande et d'Amérique du Nord.

Au cours des années soixante, Juan Geuer s'adonne à la peinture abstraite. Il expose fréquemment dans les régions rurales de l'Ontario, où il réside, et vend plusieurs de ses toiles à des collectionneurs privés de l'Amérique du Nord et de l'Europe. À l'époque, Geuer travaille comme dessinateur autodidacte à l'Observatoire fédéral, où il étudie les phénomènes géophysiques et les traduit en diagrammes et en illustrations. Fasciné par les anomalies géographiques relevées dans un projet d'étude de ses collègues, Geuer décide de créer un modèle en étudiant des photographies d'un cratère météorique en Saskatchewan, Canada. Son superviseur est si étonné par cette visualisation de données qu'il demande à Geuer de rédiger avec lui un article sur ce phénomène. (2)

L'aptitude de Geuer à rendre des données scientifiques en modèles visuels et tactiles le conduit alors à explorer une différente approche en matière de production artistique. Sa sensibilité à l'égard de l'espace et du temps et son rapport au monde scientifique - probablement marqués par ses observations de la nature dans les jungles de la Bolivie - lui permettent de créer des installations éloquentes et ingénieuses qui approfondissent de manière intime et sensuelle des principes scientifiques.

En 1973, Geuer invente le Terrascope, un dispositif scientifique pouvant visualiser concrètement le mouvement des plaques tectoniques de la terre.(3) Le dispositif ne diffère pas beaucoup de la production artistique de Geuer à cette période. Vers le milieu des années 70, Geuer se penche sur des pièces faisant davantage appel à la technique et en 1979 il expose X-Ray pour la première fois à la Kingston Artists' Association de Kingston, Ontario. Cette œuvre explore à la fois l'enthousiasme pour la machine à rayons X et les possibilités destructrices de celle-ci.

Geuer met aussi sur pied la Truth Seeker Company en 1973 pour étudier les liens entre l'art et la science et ce qu'il considère comme de l'indifférence de la part du public envers la créativité. (4) Il constate un grand écart entre la population générale et le milieu scientifique et s'efforce de le combler par l'art. La curiosité et l'engagement de Geuer envers ce processus communicatif l'incite à créer des œuvres telles que The Truth About Cartesian Clarity (Grid) (1972), The Lord is Cunning (1977), Curve in Space and Time (1977), et Al Asnaam (1979), un sismomètre interactif.

Al Asnaam, aussi appelé le « sismomètre à participation humaine » (5) est l'une des œuvres les plus exposées de Geuer. Elle tire son nom d'un tremblement de terre survenu en Algérie que Geuer a enregistré sur son « instrument artistique » pendant les premiers essais. L'œuvre, formée entre autres d'un laser, de miroirs et d'un cylindre en plexiglas, enregistre les perturbations engendrées par le mouvement d'un visiteur dans l'espace ainsi que d'autres mouvements sismiques mineurs que la personne pourrait ne pas détecter.

Geuer cherche à devenir plus conscient de sa propre place dans divers environnements, comme le manifestent ses installations et objets d'art. Il souhaite établir une relation avec l'espace et le temps qu'il examine et qu'il observe patiemment à partir de son corps plutôt que par le truchement de son esprit scientifique. Ainsi, ses œuvres deviennent plus accessibles aux spectateurs. Geuer note qu' « en attirant l'attention sur un phénomène particulier, il crée un contact intime et personnel entre le phénomène et l'observateur sans passer par des préconceptions ou des métaphores ». (6)

Pendant les années 80, la production artistique de Geuer prolifère et, en 1980, il prend sa retraite du ministère des Ressources naturelles. Il se consacre depuis à la Truth Seeker Company et produit des œuvres comme Light Traps (1985), Holland's Grijs (1985), The Loom Drum (1986-1992), Siglo Veinte (1987) et Emanuel Kant's Failure (1988). Holland's Grijs (Dutch Grey) est une installation très simple mais pénétrante, créée expressément pour la rétrospective que consacre à Geuer le Museum Boymans-van Beuningen de Rotterdam en 1985. Gary Michael Dault la décrit ainsi :

« Ici, un dôme ovoïde en plexiglas déposé sur une surface de verre réfléchissant est installé quelque part dans le musée et un filtre polarisant s'interpose entre le dôme et une large fenêtre. Même lorsque (surtout lorsque) le ciel est couvert, la lumière naturelle qui pénètre dans la salle est dépolarisée par le dôme puis polarisée à nouveau par la surface de verre. La lumière semble piégée à l'intérieur du dôme suscitant ainsi une myriade de réflexions colorées d'une beauté éblouissante : un écho intense, exquis et réellement senti (et un don en l'honneur) de la fétichisation hollandaise de la lumière existante. » (7)

La sensibilité de Geuer à l'égard de la nature et de ses possibilités conceptuelles est évidente dans cette œuvre. Sa sensibilité imprègne toutes ses œuvres, des dispositifs complexes revêtus de miroirs aux sismomètres interactifs. Geuer sensibilise les visiteurs à leur environnement en amplifiant l'imperceptible pour le rendre visible ou perceptible. En 1986, Geuer produit, en collaboration avec l'artiste canadien Michael Snow, une œuvre intitulée Geta , pour le List Visual Arts Centre du MIT à Cambridge, au Massachusetts. L'œuvre joue sur la réflexion et la polarisation de la lumière et est conçue de manière à interagir avec la pièce De la (1969-1971) de Michael Snow, placée à proximité de l'installation de Geuer. La caméra de Snow, qui effectue un va-et-vient près d'une fenêtre de la galerie, enregistrait la vue de l'extérieur mais par le truchement du dispositif de miroir de Geuer. Le résultat? Une interaction amusante mais formelle entre les deux artistes.

En 1989, Geuer propose au Musée des beaux-arts du Canada une installation permanente dans la rotonde. Le musée accepte son projet et demande à Geuer d'installer l'œuvre en 1990. Karonhia (qui signifie ciel en langue mohawk) est devenue une expérience caractéristique du musée. L'œuvre consiste en quatre paires de miroirs rectangulaires ancrés aux murs de l'édifice. Les miroirs sont placés de manière à refléter la lumière pénétrant par le plafond de verre de la rotonde. Le visiteur peut se promener d'un miroir à l'autre et y observer les différentes réflexions qu'ils projettent des quatre points cardinaux dans le ciel. Le musée a aussi fait l'acquisition d'une œuvre subséquente de Geuer intitulée H2O (1993).

Tout au long des années 1990 et de l'an 2000, Geuer a été constamment présent sur la scène artistique canadienne. Il a fait l'objet d'une foule d'expositions en Ontario et au Québec présentant ses plus récentes œuvres. En 1993, la Galerie d'art d'Ottawa organisait une exposition individuelle, Investigating Chaos , présentant les œuvres les plus réputées de Geuer. En 1996, le Centre des arts Saidye Bronfman, à Montréal, exposait plusieurs de ses œuvres récentes, parmi lesquelles The Loom Drum (1986-1992), L'être et le néant (1988) et The Hellot Glasses (1996). Cette dernière contient une série de 20 miroirs qui jouent avec les réflexions des visiteurs. « Dans cette forêt de miroirs, Geuer tente l'expérience d'être à la fois soi-même et l'Autre, une formulation brillante de la proposition emphatique : mets-toi à ma place. » (8)

À la fin des années 1990, Geuer commence à expérimenter la vidéo et explore maintenant ce qu'il appelle les « liens esthétiques » (9). L'artiste travaille sur plusieurs pièces vidéo qui montrent de courtes séquences de processus comme le bouillonnement de l'eau ou la morphogenèse de cellules et autres formes de vie primitive. Au montage, les séquences sont assemblées les unes à la suite des autres et présentées en marche avant et arrière. Geuer choisit les séquences avec une précision scientifique et selon des catégories aisément observables de manière à permettre au public de vivre une expérience esthétique constructive. En travaillant étroitement avec de nouvelles technologies, Geuer cherche à marier sa sensibilité environnementale à l'image projetée.

Angela Plohman © 2000 FDL

(1) Dana Friis-Hansen, « Visionary Apparatus: Points of View and the Power of Imagination » in Visionary Apparatus: Michael Snow and Juan Geuer, Cambridge, Massachusetts, MIT Press, 1986, p. 31.

(2) Juan Geuer, « Creativity in Concert with the Natural World » Leonardo vol. 23, no 4 (1990) p. 348.

(3) Ibid. et J.W. Geuer, « The Terrascope » Journal canadien des sciences de la terre 10 no 7 (1973) p. 1164-1169.

(4) Cor Blok, Juan Geuer, Rotterdam, Museum Boymans-van Beuningen, 1985, p. 5.

(5) Willard Holmes, Juan Geuer. El Asnaam, sismomètre à participation humaine, Paris, Centre Culturel Canadien, 1984, p. 2.

(6) Geuer, « Creativity in Concert with the Natural World », 351.

(7) Gary Michael Dault, « Juan Geuer: Present Tense » C Magazine no 64 (novembre 1999 à février 2000) p. 38.

(8) James D. Campbell, Interrogating Self and Other: The Perceptual Instruments of Juan Geuer, Montréal, Centre des arts Saidye Bronfman, du 12 septembre au 27 octobre 1996, n.p.

(8) Consulter la proposition de projet présentée à la fondation Daniel Langlois (1999).