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radioqualia

Radio Astronomy

Ventspils International Radio Astronomy Centre (VIRAC), Irbene, Lettonie (video)
Ventspils International Radio Astronomy Centre (VIRAC), Irbene, Lettonie (video)
Ventspils International Radio Astronomy Centre (VIRAC), Irbene, Lettonie L'observatoire de l'URSA, Helsinki, Finlande
D’emblée, radioqualia présente Radio Astronomy comme un projet d’art conceptuel visant à rendre audible le prétendu silence de l’espace sidéral. Le collectif d’artistes nous invite donc à considérer ce projet à partir de la position critique adoptée par l’art conceptuel. En quoi est-elle critique? En s’interrogeant sur la notion même de l’art. Duchamp, toujours un précurseur, l’avait fait bien avant en donnant le ton : les idées et le sens priment sur la forme et la matière. Bref, l’art conceptuel remet en question le statut sacré de l’œuvre d’art comme objet unique – aux allures de fétiche – susceptible de fonctionner dans la logique du marché de consommation. Que le terme « art conceptuel » surgisse à la même époque que celui de « dématérialisation » dans le vocabulaire de l’art contemporain résume bien la pensée de nombre d’artistes conceptuels.

On comprend pourquoi le projet Radio Astronomy s’inscrit parfaitement dans ce mouvement artistique. Intercepter les sons de l’espace et les diffuser en direct par l’intermédiaire d’Internet ou des ondes hertziennes — et qualifier cette activité d’artistique — bouleverse assurément le statut traditionnel d’une œuvre d’art. Rien à voir, rien à vendre. Pas d’objet, mais une expérience au sens étymologique du terme : « le fait d’éprouver quelque chose, considéré comme un élargissement ou un enrichissement de la connaissance, du savoir » ou, mieux encore, « événement vécu par une personne, susceptible de lui apporter un enseignement » (Petit Robert). radioqualia affirme que les données que nous recueillons à l’écoute de l’espace sont tout aussi importantes et significatives à notre compréhension de l’Univers que l’observation optique. Qui plus est, la perception scientifique de la radioastronomie est largement visuelle (visualisations graphiques, diagrammes, etc.). Or, l’espace s’avère être très bruyant : planètes, étoiles, nébuleuses ont chacune leur propre signature sonique. Et qui a entendu les sons émanant de ces objets sidéraux?

Le titre Radio Astronomy doit être pris au pied de la lettre : une station radio réservée à l’interception et à la diffusion de sons provenant de l’espace. En syntonisant différentes fréquences célestes, les auditeurs pourront entendre le bruit des planètes et le chuintement cosmique. Ce projet, aux intentions somme toute fort simples, nécessite néanmoins la participation de collaborateurs. Collectif d’artistes à la structure souple et mobile, radioqualia s’associe selon la nature de ses projets à des individus et à des organismes. Pour le présent projet, les données audio proviendront du Windward Community College Radio Observatory (WCC) à Hawaï, aux États-Unis, et du Ventspils International Radio Astronomy Centre (VIRAC), à Irbene en Lettonie. Mais il compte aussi sur la collaboration du réseau Radio Jove pour accroître le nombre de télescopes radio et, par conséquent, du matériel audio.

Dans les faits, Radio Astronomy consiste à brancher la sortie d’un télescope radio à un ordinateur, qui envoie par la suite le signal audio à un média en émission continue par l’intermédiaire d’Internet. Les sons interceptés peuvent être diffusés en direct sur Internet et donc accessibles par un site Web. Ils peuvent également être captés par une station de radio et diffusés sur FM, AM et SW. Finalement, les sources sonores peuvent faire l’objet d’une présentation sous forme d’installation en galerie. Le site Web consacré à Radio Astronomy permettra de prendre connaissance des aspects conceptuels et esthétiques du projet. Une expérience innovatrice retient l’attention dans ce projet protéiforme. En collaboration avec l’ingénieur en télécommunication Richard Wenner, radioqualia veut mettre au point un réseau temporaire sans fil à l’échelle planétaire en faisant « rebondir » un signal standard d’Internet sur la Lune, établissant ainsi un réseau de données couvrant le diamètre de la Terre. Le télescope radio du VIRAC sera utilisé comme transmetteur et la Lune comme miroir afin que le signal puisse revenir vers la Terre. La transmission peut ainsi s’étendre bien au-delà des limites géographiques de sa source. Tout utilisateur d’Internet sans fil pourra entrer en contact avec ce réseau planétaire. Cet aspect du projet est particulièrement pertinent, en ce qu’il manifeste l’importance croissante des réseaux sans fil comme nouveaux modes de diffusion pour des projets artistiques. Selon radioqualia, l’idée ou la visée sous-jacente, inspirée par Brecht, est de transformer l’utilisateur en producteur et de trouver une solution de rechange aux réseaux de télécommunications traditionnels. Dans sa Théorie de la radio (1927-1932), Brecht voit une pertinence pour la radio bien au-delà d’un simple mode de transmission : «  (...) voici une proposition visant à transformer sa fonction : il faut la transformer d’appareil de distribution en appareil de communication. La radio pourrait être le plus formidable appareil de communication qu’on puisse imaginer pour la vie publique, un énorme système de canalisation, ou plutôt, elle pourrait l’être si elle savait non seulement émettre, mais recevoir, non seulement faire écouter l’auditeur, mais le faire parler, ne pas l’isoler, mais le mettre en relation avec les autres. Il faudrait alors que la radio, abandonnant son activité de fournisseur, organise cet approvisionnement par les auditeurs eux-mêmes » (1). Rappelons que pour Brecht, toute activité artistique a une visée didactique.

Selon les instigateurs du projet, Radio Astronomy entretient des affinités avec la musique concrète de Pierre Schaeffer – qui nous a appris que l’objet sonore est dans l’oreille de celui qui écoute – et les expérimentations, entre autres, de John Cage et de Karlheinz Stockhausen. Les positions théoriques défendues par ces pionniers nous ont amenés à percevoir un son a priori non musical comme étant de la musique. John Cage est évidemment connu pour ses idées révolutionnaires sur le hasard comme élément de composition, le silence, la forme et le temps. Déjà en 1937, il écrivait : « Je crois que l’emploi du bruit pour faire de la musique continuera et augmentera jusqu’à ce que nous atteignions une musique produite à l’aide d’instruments électriques » (2). Encore plus d’actualité « Où que nous soyons, ce que nous entendons est surtout du bruit. Lorsque nous l’ignorons, cela nous dérange. Lorsque nous l’écoutons, nous le trouvons fascinant ». (3) Stockhausen, quant à lui, soutenait que les instruments technologiques comme les microphones, les transmetteurs et les enregistreuses étaient bel et bien des instruments de musique. Autrement dit, des sons habituellement perçus comme non musicaux peuvent se transformer en musique grâce à l’intervention d’un musicien ou d’un artiste sonore. De plus, en utilisant les détritus numériques de façon créative, en esthétisant les « glitchs » ou l’erreur, la musique avant-gardiste contemporaine fournit également une référence féconde au projet en nous encourageant à apprécier le bruit (noise) dans un contexte musical. Finalement, et de façon fort appropriée, Radio Astronomy peut être perçu comme une réhabilitation des résonances poétiques de la « musique des sphères » de l’astronome de la Renaissance, Johannes Kepler.

Jacques Perron © 2003 FDL

(1) Bertolt Brecht, Sur le cinéma, précédé de Extraits des carnets, Sur l’art ancien et l’art nouveau, Sur la critique, Théorie de la radio, Paris : L’Arche, 1970. p. 137.

(2) John Cage, Silence, Hanover: Wesleyan University Press, 1961. p. 3. (traduction du rédacteur)

(3) Idem, p. 3. (traduction du rédacteur)