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The Video Game Theory Reader

The Video Game Theory Reader, 2003
The video game theory reader. — Sous la direction de J.P. Mark Wolf et Bernard Perron. — London : Routledge, 2003. — 343 p. — Comprend un index. — Comprend une bibliographie. — ISBN 0415965799.

Cette anthologie met en commun les discours théoriques récents que suscitent les jeux vidéo au sein de nombreuses disciplines en sciences humaines (communications, études cinématographiques, études culturelles, psychologie, philosophie). Longtemps abordés à titre de sous-produits du cinéma et de l’infographie ou vus exclusivement dans leur dimension idéologique, comme l’élément déclencheur de comportements régressifs, les jeux font ici l’objet d’analyses nuancées. Dans leur introduction, les responsables de la publication, Mark J.P. Wolf et Bernard Perron recensent un premier corpus de textes consacrés aux jeux vidéo depuis la fin des années 1960. Wolf et Perron balisent par la suite le champ contemporain des discours sur les jeux en présentant certaines notions clefs qui seront longuement commentées dans les textes de l’anthologie.

Les deux premières contributions abordent la conception du jeu vidéo dans une perspective élargie, où le design de l’interface et des composantes du jeu est considéré au même titre que son contenu.

« Theory by Design », de Walter Holland, Henry Jenkins, Kurt Squire évalue le projet éducatif « Game-To-Teach Project » élaboré au MIT, proposant une approche dans laquelle des théoriciens sont amenés à réfléchir sur les jeux à l’étape de conception. Dans « Abstraction in the Video Game », Mark J. Wolf s’intéresse à l’abstraction graphique des jeux de la première heure. Bien qu’alors les limitations technologiques obligent les concepteurs à évoquer schématiquement des éléments figuratifs, le perfectionnement des jeux s’est ensuite soldé par un plus grand degré de simulation d’environnements réels. En isolant certains exemples d’interfaces et d’éléments dynamiques radicalement simplifiés dans les plates-formes rudimentaires des années 1970 et 1980, Wolf mentionne que le versant de l’abstraction est, à ce jour, sous-exploité par les concepteurs des jeux. Selon l’auteur, le recours à des formes schématisées pour certains dispositifs mettrait de l’avant un univers cognitif beaucoup plus complexe et riche.

Les trois essais qui suivent s’attardent au statut de la subjectivité de l’utilisateur en cartographiant les modes d’identification qu’encouragent les dispositifs des jeux.

Dans « Immersion, Engagement, and Presence: a Method for Analyzing 3D Video Games », Alison McMahan se penche sur la problématique de la simulation de l’expérience réelle dans les jeux vidéo. Pour mieux définir la notion de présence — l’un des premiers critères d’évaluation des jeux chez les utilisateurs –, l’auteur établit une typologie de termes liés à divers degrés d’immersion dans les protocoles du jeu. Par ailleurs, McMahan évoque d’autres appareils de simulation désormais intégrés à certains outils de navigation des jeux, telle que la réalité virtuelle ou la téléprésence. Dans son essai, « Hyperidentities: Postmodern Identity Patterns in Massively Multiplayer Online Role-Playing Games », Miroslaw Filiciak observe le phénomène de la multiplication des identités sous forme d’avatars (1) au sein des jeux en réseau mobilisant des milliers de participants (Massively Multiplayer Online Role-Playing Games). L’auteur compare la mutabilité de l’avatar au modèle de subjectivité relayé par le discours postmoderniste, où le sujet, fragmenté en monades, se module à loisir. Poursuivant cette réflexion selon une autre tangente, dans « Playing at Being: Psychoanalysis and the Avatar », Bob Rehak tente, quant à lui, de rapprocher l’analyse du phénomène d’identification dans les jeux vidéo à des théories psychanalytiques du spectateur au cinéma élaborées dans les années 1970 (dans la revue britannique Screen). Grâce au concept de suture et d’interpellation, il suggère que les jeux recourant à un point de vue subjectif (first person shooter) engendrent une collusion de ce point de vue et des paramètres de l’expérience psychomotrice de l’utilisateur. Il distingue cependant le plan subjectif au cinéma de l’outil de navigation des jeux vidéo produisant d’autres types d’identification. L’auteur souligne ainsi l’effet d’invulnérabilité que crée le renouvellement perpétuel de l’avatar, qui participe au renforcement d’une identité à l’abri des aspects contingents de l’existence réelle. Dans « Stories for the Eyes, Ear, and Muscles: Video Games, Media, and Embodied Experiences », constituant la thèse adverse des essais précédents, Torben Grodal applique des modèles dérivés des sciences cognitives aux jeux vidéo pour suggérer que les réactions des participants dans leurs environnements simulés se rapprochent d’expériences réelles. Grodal affirme donc que ces réactions ne constituent pas seulement des effets dérivés de constructions identitaires dans un espace de signification. Il convient, selon l’auteur, de mettre en veilleuse l’approche sémiotique ou les études culturelles et d’établir en premier lieu les paramètres de la performance des utilisateurs du jeu ainsi que l’étendue de leurs interventions dans ce registre (leurs réflexes oculomoteurs, les outils mnémotechniques qu’ils se forgent pour améliorer leur performance, etc.). Martii Lahti se situe entre ce parti pris issu des sciences cognitives et les analyses discursives mettant l’accent sur la subjectivité. Dans « As we Become Machines: Corporealized Pleasures in Video Games », il décrit le jeu vidéo à la manière d’un complexe personne-machine d’où découle un surcroît d’expérience (et de plaisir corporel). Comme Miroslaw Filiciak, Lahti évoque la mutabilité du sujet. Elle insiste également sur la mise à l’essai de postures identitaires impraticables au quotidien, mais possibles dans les espaces virtuels des jeux (le changement de sexe ou d’appartenance culturelle à titre d’exemples). Avec « Hot Dates and Fairy-Tale Romances: Studying Sexuality in Video Games », Mia Consalvo fait état des incidences de l’inscription d’un contenu sexuel ou sexué dans les jeux vidéo. Bien que les jeux pornographiques soient évoqués, l’auteur s’intéresse surtout à l’inscription du genre dans les jeux occupant la plus grande part du marché.

Fortement inspirés des sciences cognitives et de la théorie des jeux, les quatre essais suivants rendent compte des aspects pragmatiques de l’expérience des jeux vidéo. Avec « Video Games and Configurative Performances », Markku Eskelinen et Ragnhild Tronstad montrent dans quelle mesure les jeux vidéo se comparent à des pratiques artistiques outrepassant les dichotomies de la représentation (la ségrégation spatiale du spectateur et du spectacle à titre d’exemple). Pour étayer cette thèse, ils mettent en parallèle les modes opératoires des jeux avec la notion de happening élaborée par Allan Kaprow dans les années 1960. Les auteurs soulignent, entre autres, la parenté du jeu vidéo avec le happening dans la structure à plusieurs voies que ces deux formes induisent au récit traditionnel. L’essai de Gonzalo Frasca, « Simulation versus Narrative: Introduction to Ludology » propose d’abandonner l’analogie des jeux vidéo avec la narration filmique telle qu’appliquée à cet objet par de nombreux théoriciens, pour analyser la forme du jeu lui-même, ses règles, le type de participation qu’il encourage, etc. L’auteur estime qu’en vertu de leur structure ouverte, bien que balisée, les jeux vidéo constituent des outils de simulation rhétoriques. Avec « From Gamers to Players and Gameplayers: The Example of Interactive Movies », Bernard Perron choisit le genre peu commenté du cinéma « interactif » – genre suggérant une série de possibilités de résolution du récit au spectateur par le truchement d’une plate-forme interactive - pour aborder la narration dans le jeu vidéo. Perron s’emploie à distinguer les aspects proprement ludiques de ces produits audiovisuels qu’il qualifie par la suite de jeux filmiques (movie games) plutôt que de cinéma interactif. Dès lors, il juge ce terme inapproprié pour qualifier l’expérience de l’utilisateur, oscillant entre l’application des règles et l’aléatoire. Sur un mode plus pragmatique que théorique, l’essai de Chris Crawford « Interactive Storytelling », tente de définir le point de jonction entre interactivité et narrativité. Il fait état de tentatives précoces (Adventure de William Crowther et Donald Wood, réalisé en 1976) pour multiplier les pistes de lecture dans l’expérience de la narration. Ce faisant, Crawford commente les nombreux échecs de ces formes : faute de réinventer l’expérience du récit traditionnel, elles proposent des choix aux déploiements narratifs souvent décevants. L’auteur croit qu’il est de rigueur d’assimiler les principes de base de la narration au récit interactif plutôt que de les éluder dans une forme éclatée. Pour ce faire, il décrit le mode opératoire de son logiciel de conception et de gestion de contenu interactif, l’« Erasmatron », qui permet d’articuler les principales composantes d’un récit conçu sur une plate-forme informatique. Dans « Gametime: History, Narrative, and Temporality in Combat Flight Simulator 2 », Patrick Crogan commente le phénomène de recyclage des jeux vidéo à contenu militaire dans le cinéma hollywoodien en se penchant sur deux exemples de cette circularité entre les genres et les médias (le jeu Combat Flight Simulator 2: WW II Pacific Theater (2000) de Microsoft et le film Pearl Harbour (2001) de Michael Bay). Une liste de plates-formes de jeux vidéo pour l’usage à la maison (mises en marché entre 1972 et 2001) dressée par Mark J.P. Wolf, Bernard Perron et David Winter ainsi qu’une bibliographie exhaustive sur le sujet complètent cette anthologie.

Vincent Bonin © 2004 FDL

(1) L’avatar est la forme qu’adopte l’utilisateur d’un jeu dans l’environnement simulé, en choisissant par exemple l’apparence et le nom de son personnage, ses munitions, etc.