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At a Distance: Precursors to Art and Activism on the Internet

At a Distance: Precursors to Art and Activism on the Internet, 2005
At a distance : precursors to art and activism on the Internet. — Sous la direction de Annmarie Chandler et Norie Neumark. — Cambridge : MIT Press, 2005. — 486 p. — Comprend un index. — Comprend une chronologie de l'art réseau. — ISBN 0262033283.

Dans cette anthologie, Annmarie Chandler et Norie Neumark rassemblent des essais d’auteurs commentant les projets d’art en réseau des années 1960 et 1970 (Fluxus, art postal, vidéo câblodiffusée) et ceux des années 1980 (télématique). Chandler et Neumark rangent ces pratiques sous la rubrique de « distance art » ou « art à distance » pour bien souligner qu’elles ne partagent pas une dépendance aux modes de communication technologiques. En revanche, elles ont pour visée commune d’investir de façon performative l’intervalle (physique, géographique, culturel, etc.) entre l’émetteur et le récepteur de l’information. Par conséquent, elles annoncent, dans leurs programmes plutôt que leurs formes, les œuvres en réseau, les expériences en espace augmenté et le net.art des décennies suivantes.

L’essai de Norie Neumark — faisant également office d’introduction — présente globalement le phénomène d’appropriation des outils de communication par les artistes au cours du XXe siècle. L’auteur avance ensuite que la notion de distance peut à la fois signifier l’écart physique, le laps de temps entre deux événements et le recul scientifique. Neumark poursuit son exposé en évoquant le système de la poste comme le premier moyen de communication faisant l’économie d’une distance géographique. Ce dispositif survit schématiquement, selon l’auteur, au sein des modes plus sophistiqués d’échanges technologiques émergeant par la suite (télématique, Internet).

La première partie, « Critical Perspectives on Distance Art/Activist Practices », réunit des contributions qui tentent d’établir les prémisses théoriques de ces pratiques, telles qu’elles se développent parallèlement à la mise en réseau globale des moyens de communication depuis les années 1960. Les contributeurs évaluent, entre autres, les méthodes par lesquelles on découpe historiquement ces pratiques selon l’avancement technologique, en négligeant leurs contextes d’émergence culturelle et les modes d’identification qu’elles encouragent chez les participants-spectateurs. À ce titre, dans « Interactive, Algorithmic, Networked: aesthetics of new media », Johanna Drucker précise que les précurseurs de l’art réseau appréhendent les aspects techniques de leurs projets selon une optique avant tout conceptuelle et métaphorique. En mettant l’accent sur le processus plutôt que les retombées matérielles ou les avancées technologiques, ces pratiques expérimentales permettent à plusieurs artistes de se dégager du carcan formaliste de la décennie précédente. Dans « Immaterial Material: Physicality, Corporality, and Dematerialization in Telecommunication Artworks », Tilman Baumgärtel souligne, quant à lui, l’impact d’expositions telles que « Les Immatériaux », présentée au Centre George Pompidou (Paris, France) en 1985. Selon Baumgärtel, par le truchement de cet événement multidimensionnel réunissant théoriciens et artistes, le commissaire Jean-François Lyotard réussit à formuler le paradigme d’une œuvre décloisonnée et performative. Dans le même registre, Baumgärtel fait également état de pratiques innovantes des années 1960 comme la compagnie à la fois réelle et fictive N.E. Thing Company fondée par les artistes canadiens Ian et Ingrid Baxter. L’auteur affirme que ce collectif inscrit l’identité de l’artiste dans l’espace public en parodiant les protocoles de circulation de l’information économique entre une entreprise et le monde extérieur.

À l’instar de Baumgärtel, dans « From Representation to Networks: Interplays of Visualities, Apparatuses, Discourses, Territories and Bodies » Reinard Braun commente la notion de dématérialisation utilisée pour qualifier les pratiques d’art conceptuel. Il ajoute cependant que les projets d’art télématique des années 1970 dépassent ce paradigme en tenant compte du rôle joué par le lieu d’émission et de réception de l’information dans la signification des propositions artistiques. Avec « The Mail Art Exhibition: Personal Worlds to Cultural Strategies », John Held Jr. aborde la problématique de l’exposition d’œuvres d’art postal. Selon certains représentants du mouvement (dont Ray Johnson), ces œuvres ne devaient pas initialement aboutir dans une galerie ou un musée sous forme de reliques. L’auteur tente cependant de constituer une chronologie de telles expositions en commentant les stratégies employées par les commissaires pour présenter les œuvres hors du réseau comme des traces toujours dynamiques. Dans « Fluxus Praxis: An Exploration of Connections, Creativity and Connectivity », Owen F. Smith décrit l’espace d’échanges créés par les événements Fluxus, où l’humour, la parodie et le jeu prennent le pas sur la transparence communicationnelle.

La deuxième partie présente des études de cas sur les projets importants de l’art « à distance », rédigées soit par les artistes eux-mêmes, soit par des participants-témoins de l’histoire de ces pratiques. Annmarie Chandler s’entretient avec Kit Galloway et Sherrie Rabinowitz, artistes expérimentant avec la vidéo-conférence et les satellites depuis les années 1970. Ces derniers commentent la genèse de projets tels que Satellite Art (1977), Hole in Space (1980) et Electronic Café (1984), vastes entreprises de télécommunication planétaire présentées à un auditoire dépassant largement le monde de l’art. Dans « An Unsuspected Future in Broadcasting: Negativland », Don Joyce souligne l’importance du collectif d’art audio Negativland dans les années 1980, prenant pour champ d’intervention les diverses conventions du médium radio. Ainsi, lors de leurs émissions, les membres de ce collectif permettent, entre autres, au public d’intervenir par ligne téléphonique à même le contenu diffusé (radio jamming). Dans « Mini FM: Performing Microscopic Distance », Annmarie Chandler et Norie Neumark s’entretiennent avec Tetsuo Kogawa, précurseur de l’art radio au Japon. Kogawa décrit le contexte d’émergence, depuis les années 1980, d’une communauté de jeunes artistes nippons utilisant des diffuseurs à faible émission (mini FM) pour communiquer entre eux malgré la réglementation sur la radiodiffusion filtrant normalement ce type d’échange. Dans « From the Gulf War to the Battle of Seattle: Building an International Alternative Media Network », Jesse Dew rend compte du projet « Gulf Crisis TV » produit par Deep Dish TV Network et Paper Tiger Television (New York, États-Unis) entre 1990 et 1991. Série d’émissions diffusées par câble, documentant des manifestations de citoyens américains opposés à la guerre du Golfe, ce projet constitue pour l’auteur un contre-témoignage aux images présentées alors par les médias de masse.

Avec « The Form: 1970-1979 and Other Extemporaneous Anomalous Assemblings », Melody Summer Carnahan fait le bilan de sa pratique d’art postal amorcée à la fin des années 1970, dérivant de modes d’inscription bureaucratique de l’information.

Dans « Networked Psychoanalysis: A Dialogue with Anna Freud Banana », Craig Saper s’entretient avec l’artiste connue sous le nom d’Anna Banana, dont le travail s’est élaboré selon le paradigme de la psychanalyse en réseau (par le truchement de l’art postal), où chacun des participants peut tour à tour jouer le rôle de l’analyste et de l’analysé. Dans « From Mail Art to Telepresence: Communication at a Distance in the Works of Paulo Bruscky and Eduardo Kac », Simone Osthoff offre une analyse détaillée du travail des années 1980 de ces artistes d’origine brésilienne, lorsqu’ils exposaient principalement en Amérique du Sud. Osthoff y fait état des expériences de télécopie et d’art réseau de Bruscky et des premières tentatives en holographie et en performance télématique de Kac.

« Distance Make the Art Grow Further: Distributed Authorship and Telematic Textuality in La Plissure du Texte » de Roy Ascott fournit le compte rendu d’une expérience d’écriture collective menée en 1983, qui mobilise des participants dans plusieurs villes à travers le monde grâce au réseau d’affichage textuel électronique ARTEXT. Dans « From BBS to Wireless: A Story of Art in Chips », Andrew Garton témoigne de son investissement dans divers projets en réseau faisant se tramer son récit autobiographique avec l’histoire des technologies de communication qu’il utilisera successivement au fil de sa carrière. Avec « REALTIME-Radio Art, Telematic Art, and Telerobotics: Two Examples », Heidi Grundmann commente les projets d’émissions radiophoniques qu’elle mène à titre de commissaire et de productrice pour Kunstradio en Autriche depuis les années 1970. Elle rend également compte de la genèse des projets CHIP-RADIO (1992) et REALTIME (1993), performances musicales télé-robotiques où les interprètes jouent grâce à des capteurs de mouvement faisant s’activer leurs instruments à distance.

La troisième partie se penche sur la manifestation du réseau dans l’art des décennies étudiées précédemment. Les contributions y évaluent le contexte d’émergence de communautés artistiques constituées par le truchement des technologies de communication. Dans « Estri-Dentistas: Taking the Teeth Out of Futurism », Maria Fernandez emploie la notion de réseau définie par le théoricien Armand Mattelart pour faire état des projets littéraires du groupe mexicain EstriDentistas qui oeuvrait à Mexico entre 1920 et 1930, influencé, entre autres, par les futuristes Italiens. L’auteur affirme qu’à l’époque, les outils technologiques ne sont pas directement accessibles aux membres de l’Estri-Dentistas. Cependant, ces derniers mettent à l’essai des techniques d’écriture inspirées de l’observation des moyens de communication et de transport (le télégraphe et la voie ferrée) qui constituent alors des réseaux pour pallier la distance physique entre deux lieux.

Avec « Computer Network Music Band: A History of The League of Automatic Music Composers and The Hub », Chris Brown et John Bischoff commentent l’utilisation de la télématique dans leur pratique d’improvisation et de composition musicale. Le groupe « League of Automatic Composers » qu’ils créent au Mills College, Oakland (Californie, États-Unis) dans les années 1970, fait figure de précurseur de l’utilisation - généralisée aujourd’hui - des ordinateurs en réseau par les musiciens et les compositeurs. Dans « Assembling Magazines and Alternative Artists’ Networks », Stephen Perkins analyse le phénomène des magazines conçus par des artistes aux États-Unis et en Amérique du Sud au début des années 1970. Perkins souligne qu’en employant des moyens de distribution interlopes, les artistes parviennent à faire circuler un contenu subversif à l’écart des médias dominants et déjouent ainsi l’emprise du pouvoir en place (surtout dans les pays sous le joug d’un régime autoritaire).

Dans « The Wealth and Poverty of Networks », Ken Friedman, à l’instar du texte de John Held Jr., fait un retour sur Fluxus et ses dérivés pour analyser cette fois le concept d’intermédia élaboré par Dick Higgins dans les années 1960. L’auteur ajoute que les créateurs de ces réseaux investissent leurs modalités relationnelles aux dépens de leur pérennité. Aujourd’hui, il reste donc peu de traces permettant d’en décrire la trajectoire historique.

« From Internationalism to Transnations: Networked Art and Activism » de Sean Cubitt souligne dans quelle mesure les contextes d’émergence politiques et sociaux très variés des projets fondés sur la collaboration infléchissent leur signification. Dans une perspective plus large, Cubitt soutient que la globalisation du capital a pour effet paradoxal de produire des réseaux en marge où s’affirment les singularités culturelles (dont témoignent, selon l’auteur, les pratiques artistiques).

Enfin, l’anthologie comprend une conclusion rédigée par Annmarie Chandler et Norie Neumark, ainsi qu’une chronologie de la figure du réseau en art entre 1921 et 2001 qui couvre l’ensemble des projets évoqués dans les contributions d’auteurs.

Vincent Bonin © 2005 FDL