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Yvonne Spielmann, La vidéo et l'ordinateur

L'esthétique de Steina et Woody Vasulka

Conclusion

Dans la foulée d’un groupe d’artistes d’avant-garde dont les approches modernistes s’opposaient à l’esthétique de la représentation, les Vasulka inscrivent leurs expériences en vidéo et avec l’ordinateur au sein d’un contexte culturel plus inclusif. Ils s’opposent ainsi à l’hégémonie d’un point de vue limité sur la culture, déterminé par le modèle de la camera obscura. Ils cherchent plutôt à laisser de côté les modes dominants de représentation dans les médias visuels pour révéler un monde visuel parallèle de beauté esthétique.

Woody résume leur critique du principe unidimensionnel de visualisation du modèle de la camera obscura : « Cette tradition a façonné notre perception visuelle, non seulement par le truchement de la camera obscura, car le cinéma et la télévision l’ont également renforcée. C’est une dictature de l’effet trou d’épingle, aussi ironique et stupide qu’apparaît cet énoncé. Mais cette dictature a été renforcée et nous en sommes venus à l’accepter comme la chose la plus réelle. En peinture, où la surface peut être contrôlée à un plus grand degré, on a pulvérisé cette notion d’espace de la Renaissance en ne présentant plus d’image. Éventuellement, la caméra est restée vide. Avec l’imagerie électronique, nous avons découvert qu’il existait un modèle interne de génération d’image qui faisait fi du régime traditionnel de production d’image avec la camera obscura. (...) À cette étape, il peut sembler presque populiste d’affirmer cela, mais voici la lutte que se livre la réalité et la beauté de l’artificiel. Dans certains cas, la beauté de l’artificiel s’est révélée gagnante. »

On peut ajouter ici que chaque nouveau médium est sujet à des développements concurrents, qui importent et conservent des éléments de médias antérieurs, pour encourager des approches esthétiques traditionnelles. Par ailleurs, ces médias luttent dans l’objectif de se constituer un langage médiatique spécifique, lutte qui s’amorce avec le concept de table rase. Toutefois, le néant vidéo n’est pas une forme vide dans le sens où il ne renferme pas, à proprement parler, d’information, mais au contraire, il fournit le potentiel pour construire de l’imagerie électronique authentique.

En conclusion, d’un point de vue historique-systématique et à la lumière d’un contexte plus large qui englobe d’autres expériences vidéo échelonnées sur les précédentes décennies, je considère que Steina et Woody Vasulka étaient, à plusieurs titres, en avance sur leur temps. L’une des raisons qui motivent cette affirmation est qu’ils appréhendaient la vidéo comme un mode de visualisation, un vrai médium audiovisuel non limité à une expression en superficie. Ce que Steina décrit comme son intérêt pour la « vision machine », signifie ici un écart qualitatif par rapport aux autres médias qui dépendent d’une fonction dispositif, tels que la photographie et le film. Cependant, affirmer que la vidéo offre une possibilité d’abandonner la perspective du trou d’épingle signifie un dégagement structurel de l’emprise d’autres médias d’enregistrement, pavant la voie à la génération d’ « images » sur la base d’algorithmes. Selon cette optique, le travail en vidéo des Vasulka est le fruit de pratiques où les outils sont amenés à exposer leurs composants de façon auto-réflexive, présentant le plus petit élément reconnaissable dans le résultat visuel et sonore. À partir de ce « degré zéro » de langage électronique, Woody cherche à construire un vocabulaire et une syntaxe de façon systématique, pour que les effets soient contrôlés, réactivés, et finalement, emmagasinés. Cette tâche, qui englobe des aberrations extrêmes de l’image vidéo, incarne une perspective scientifique et artistique à l’égard du médium passant par l’emploi logique de l’ordinateur. Elle explique l’intérêt que les Vasulka nourrissent pour la spatialisation numérique.

Depuis ses débuts, la vidéo est perçue comme un médium potentiel plutôt qu’à titre de médium prédéterminé. Les Vasulka, avec quelques autres expérimentateurs en vidéo partageant les mêmes intérêts, concevaient la vidéo comme une technologie qui n’était pas structurée à proprement parler mais qui pouvait se manifester en plusieurs structures. Comme j’ai tenté de l’élucider, en forçant l’image matrice à manifester les dimensions, la vitesse et le motif, les vidéastes se rapprochaient des expériences analogues du cinéma abstrait. Ils liaient également la vidéo à des médias non cinématiques tels que l’ordinateur. Et les expériences matricielles sont à considérer comme une exploration du vocabulaire d’une perspective intrinsèque – en analysant la spécificité de la vidéo comme phénomène matriciel. De maintes façons et pendant de nombreuses décennies, les Vasulka ont démontré que l’électronique et le numérique partagent une structure variable. Ces caractéristiques communes leur permettent d’explorer l’imagerie ouverte, multidimensionnelle, enlignée vers le processus, pour générer de la beauté dans l’artificiel.

Traduction : Vincent Bonin

Yvonne Spielmann © 2004 FDL